La « diplomatie du loup combattant », ça vous dit quelque chose ?

L’expression a été utilisée dans les médias d’État, en Chine, pour désigner la nouvelle attitude des diplomates chinois.

Elle fait référence à une série de films à succès, où le héros chinois – sorte de croisement entre Sylvester Stallone dans Rambo et Arnold Schwarzenegger dans l’ensemble de son œuvre – lutte contre ceux qui s’en prennent à son pays ou à ses concitoyens.

Découvrez la bande-annonce d’un film de la série Wolf Warrior (en anglais)

Cette diplomatie n’est pas une conception théorique élaborée par des universitaires spécialisés en relations internationales.

C’est une démonstration de puissance évidente sur la scène internationale, qui se traduit par un mélange d’agressivité et d’arrogance.

Et c’est ce à quoi le Canada fait désormais face.

PHOTO PHILIP PACHECO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Consulat général de Chine à San Francisco

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Lorsqu’elle a eu besoin de l’aide du Canada au cours des dernières décennies, la Chine a pu compter sur les gouvernements en place à Ottawa. Mais c’est de l’histoire ancienne. Depuis quelques années, une seule logique dicte sa conduite : la loi du plus fort.

Pour cette nouvelle Chine, le mot amitié se confond trop souvent avec le mot soumission.

Ce n’est pas une approche mise au point spécifiquement pour le Canada. Personne n’est à l’abri du changement d’attitude de la Chine dans le monde.

Regardez ce qui est en train de se passer en Australie. Les relations entre ce pays et Pékin dégénèrent. Pourquoi ? Parce que le pays ne fait pas les quatre volontés de la Chine.

L’Australie a entre autres osé dire non à l’entreprise chinoise Huawei pour le développement de la 5G. Le pays a aussi réclamé une enquête indépendante sur la façon dont la Chine et l’OMS ont géré la pandémie en cours.

Et rapidement, les loups combattants sont montés au créneau.

Il y a eu de la part de Pékin des menaces, des insultes et des représailles. La fin des importations de bœuf et une surtaxe sur l’orge en provenance d’Australie ne peuvent pas être interprétées comme des coïncidences.

Cette semaine, la série noire s’est poursuivie. On a appris que Pékin avait placé en détention une journaliste australienne qui travaillait pour la télévision d’État chinoise. Possiblement un nouvel exemple de ce que certains qualifient de « diplomatie des otages ».

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Si la Chine ne vous fait pas payer le prix de vos critiques, elle les tournera en ridicule. Ses loups combattants répliqueront qu’il faut circuler, car il n’y a rien à voir !

L’ambassadeur de Chine au Canada en a fait la démonstration mardi lors d’une rencontre avec l’équipe éditoriale de La Presse. Les rapports selon lesquels un vaste réseau de camps de détention a été mis sur pied pour mettre au pas la minorité ouïghoure du pays ? C’est « le mensonge du siècle », a-t-il soutenu.

Des organisations de défense des droits de la personne ont documenté l’existence d’un système d’incarcération élaboré (travail forcé, stérilisation, rééducation) touchant plus de 1 million de personnes. Mais ce n’est que de la désinformation, selon la Chine… qui refuse pourtant de permettre à des observateurs indépendants de se rendre sur place.

Et la loi sur la sécurité nationale, entrée en vigueur à Hong Kong au milieu du mois de juillet ? N’est-elle pas liberticide ?

Pas du tout. Elle va permettre une implantation plus « durable » du principe « un pays, deux systèmes », nous a expliqué l’ambassadeur chinois le plus sérieusement du monde.

En vérité, pourtant, jamais ce principe n’aura été bafoué avec une telle détermination.

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Le modus operandi des nouveaux dirigeants chinois a été résumé avec finesse, récemment, par le sinologue français Jean François Billeter.

« En Chine, les forces de progrès, qui se sont continûment inspirées de notre tradition politique depuis une centaine d’années, ont subi défaite sur défaite. L’ambition des hommes qui sont au pouvoir à Pékin aujourd’hui est de les vaincre une fois pour toutes en Chine et de les affaiblir partout ailleurs.* »

De ce constat douloureux en découle un autre.

Sans chercher à se mettre la Chine à dos (si le Canada libérait Meng Wanzhou – voir l'éditorial de François Cardinal –, ce serait la preuve ultime de notre volonté de conserver de bonnes relations avec le pays, ce qui est non seulement souhaitable, mais fondamental), il est crucial de lui tenir tête lorsqu’elle tente d’affaiblir la démocratie et les valeurs libérales dans le monde.

Mais nous n’y parviendrons pas seuls, d’où l’importance de continuer à se concerter, pour mener à bien cette mission, avec nos alliés. À la fois au sein des démocraties occidentales et ailleurs dans le monde.

Danser avec les loups est un exercice périlleux.

* Extrait du livre Pourquoi l’Europe – Réflexions d’un sinologue, de Jean François Billeter, Éditions Allia

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