Pendant que la planète proteste contre la brutalité policière visant les Afro-Américains aux États-Unis, la violence policière expérimentée par les Autochtones canadiens soulève peu d’émotion.

Il y a Chantel Moore, Autochtone de 26 ans qui a été abattue par un policier d’Edmundston lors d’une intervention à son domicile, au petit matin du 4 juin.

Il y a le chef autochtone albertain Allan Adam, qui vient de faire circuler des photos de son visage tuméfié, résultat d’une « rencontre » avec des agents de la GRC qui l’avaient interpellé pour une histoire de plaque d’immatriculation.

PHOTO ALLAN ADAM, REUTERS

Le chef autochtone albertain Allan Adam a fait circuler des photos de son visage tuméfié, résultat d’une « rencontre » avec des agents de la GRC.

Il y a aussi ces images montrant un véhicule de la GRC foncer sur un Inuit et l’accrocher avec la portière ouverte. Ça s’est passé le 1er juin, dans un village du Nunavut.

Et c’est sans oublier ces trois Autochtones, dont un ado de 16 ans, qui ont été abattus lors de trois interventions distinctes à Winnipeg, en avril.

Au moment où la vague de protestations soulevée par le meurtre de George Floyd déferle sur la planète, une série de faits troublants met en cause les actions policières dans des interventions contre une minorité bien de chez nous : les Autochtones canadiens.

Ce n’est pas une coïncidence, note Fannie Lafontaine, avocate et observatrice indépendante d’enquêtes policières sur des allégations criminelles contre des policiers mis en cause dans des interventions en milieu autochtone.

George Floyd aurait été tué n’importe quel autre jour, souligne-t-elle, que sa mort aurait eu le même écho chez nous, car « des incidents comme ça, il y en a presque tous les jours. »

Michèle Audette, ex-commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, observait cette semaine dans La Presse que ces dérapages policiers envers les Premières nations ne soulèvent pas de mouvement de solidarité comme celui qui a suivi la mort de George Floyd.

Il y a des raisons expliquant cette relative indifférence. Le poids démographique des communautés autochtones, comparativement à celui des Afro-Américains aux États-Unis. Le fait qu’elles vivent majoritairement loin des centres urbains. La violence policière à laquelle elles font face de façon récurrente reste invisible pour le grand public. Mais pour les Autochtones, souligne Fannie Lafontaine, cette violence, « c’est un fait quotidien ».

Les nombreux rapports d’enquête consacrés aux Premières nations se sont tous penchés sur leurs relations, le système judiciaire et la police. Les Autochtones sont surreprésentés dans les arrestations policières et en prison. Ils font face à des stéréotypes qui prédéterminent les actions policières. Encore récemment, un appel concernant une femme en détresse au square Cabot, lieu fréquenté par les Autochtones à Montréal, a entraîné l’intervention de 17 policiers et de la brigade canine…

Du rapport de la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones (1996) à celui de la Commission Viens (2019), en passant par la Commission Vérité et Réconciliation (2015) et celui sur les femmes autochtones, il y a un an, on ne compte plus les constats sur les failles dans les relations entre Autochtones et corps policier, et les recommandations pour y remédier.

Il faut plus d’Autochtones dans les corps policiers, plus de formation sur les Autochtones aux policiers en devenir, plus d’interventions mixtes police-intervenants sociaux.

La Commission Viens constatait que les Autochtones hésitent à porter plainte contre la police, car ils ne font pas confiance au mécanisme de traitement de ces plaintes. Il y a un méga-travail d’information à faire à ce chapitre.

Il faut aussi mieux documenter les interventions policières. L’une des demandes récurrentes des représentants autochtones est d’équiper les policiers de caméras corporelles. Le premier ministre Justin Trudeau s’y dit ouvert. C’est une voie à explorer.

Fondamentalement, la brutalité policière à l’égard d’une minorité, quelle qu’elle soit, est nourrie par l’ignorance, la peur, la déshumanisation de l’Autre, et un gros sentiment d’impunité. Pour en venir à bout, la première chose, c’est encore de reconnaître que cette réalité existe. Et qu’elle émane d’un système qui lui permet de s’exprimer.

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