En prêtant 200 millions au Cirque du Soleil, le gouvernement caquiste lui permet de survivre. Et ce, en restant au Québec.

On ne criera pas « hourra ! », car le plus difficile reste à venir pour tous les collaborateurs du Cirque qui attendent encore d’être payés. Mais, à tout le moins, le ministre de l’Économie semble avoir réussi à protéger les intérêts du Québec sans prendre de risque exagéré.

Il s’agit d’un prêt et non d’une subvention. L’entente reste confidentielle, mais le ministre assure que le taux consenti assurera un bon rendement pour le Québec et que sa créance sera prioritaire. Et surtout, l’aide vient avec des conditions strictes : que le siège social, le centre décisionnel et la propriété intellectuelle restent au Québec.

Cela importe, car une multitude d’entreprises liées aux arts circassiens se sont développées autour du Cirque du Soleil. C’est aussi cet écosystème qu’il fallait protéger.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La suite s’annonce laborieuse pour le Cirque du Soleil, selon notre éditorialiste.

Malgré tout, la suite s’annonce laborieuse. Car ce prêt ne suffit pas aux besoins de liquidités du Cirque.

Depuis le début de la crise sanitaire, les activités du Cirque du Soleil se sont brutalement arrêtées. Il n’y a plus de spectacles et donc plus de revenus. Pendant ce temps, les créances s’accumulent. Et à cela s’ajoutent les dépenses minimales de fonctionnement pour garder les bureaux ouverts et celles à venir pour relancer les spectacles, probablement d’ici 12 à 18 mois.

Pour résumer : le Cirque ne fait plus d’argent, sa dette est grande et il continuera de dépenser encore pendant plusieurs mois avant de toucher à de nouveaux revenus.

Les flux de trésorerie sont à ce point à sec que le Cirque n’a même pas pu recourir au programme fédéral de subvention salariale — pour en bénéficier, la société devrait payer 25 % du salaire de ses employés, ce qu’elle est incapable de faire.

Face à cette crise, il n’y a pas 56 choix. Il y aura, comme on dit dans le jargon, une « restructuration »… Elle risque de prendre la forme d’une entente de gré à gré avec les créanciers ou encore du recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

C’est dans ce contexte que la question de la « vente » du Cirque se posera à nouveau. En effet, si cette procédure est enclenchée, d’autres investisseurs pourront soumettre leur propre proposition aux créanciers. Ce sera à eux de trancher.

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Dans les dernières semaines, plusieurs investisseurs de marque comme Guy Laliberté et Québecor ont manifesté leur intérêt pour le Cirque. Cela nous rappelle qu’avant la COVID-19, la société était très rentable et devrait le redevenir.

En 2019, le Cirque a engrangé des profits d’environ 200 millions de dollars canadiens, pour une marge enviable de 15 %. Il est vrai que la société traîne une dette immense d’environ 900 millions et qu’elle a été décotée deux fois en trois ans par l’agence de notation Moody’s. Toutefois, cette dette ne vient pas de déficits passés. Elle découle de la transaction de 2015.

Cette année-là, Guy Laliberté a passé à la caisse en vendant sa société à des fonds d’investissements étrangers : TPG Capital des États-Unis (60 %) et Fosun de la Chine (20 %). Ils se sont financés en s’endettant dans le but probable de revendre ou d’entrer en Bourse quelques années plus tard afin d’empocher le magot. Ce n’était pas sans risque, et cette vulnérabilité a été aggravée par la crise sanitaire.

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

« Pour les collaborateurs du Cirque, le passeport de l’actionnaire ne change rien à leur problème : on leur doit encore de l’argent », souligne Paul Journet.

Heureusement, la Caisse de dépôt complétait le groupe des investisseurs. Sa participation de 10 % est passée à 20 % l’hiver dernier avec le rachat des dernières parts de Guy Laliberté. Tant que les actionnaires seront étrangers, on doit se réjouir de cette présence tactique de la Caisse.

Si le Cirque change de propriétaire, que peut-on souhaiter ? D’abord, un investisseur ou un consortium avec un profil d’entrepreneur plutôt que de financier. Ensuite, qu’il soit québécois. Et enfin, qu’il soit complètement investi dans l’aventure et que ses poches soient assez profondes pour encaisser les turbulences à venir à court terme. Ajoutons enfin qu’une solide expérience à l’international est requise — le Cirque tourne dans plus de 400 villes sur la planète, une logistique hyper complexe qui a peu d’équivalents dans l’industrie du divertissement.

Le Cirque étant une société privée, le Québec n’avait pas de contrôle sur cette transaction. Du moins, jusqu’à mardi…

Grâce aux conditions de son prêt, le ministre Pierre Fitzgibbon s’assure que le cœur des activités reste au Québec. Et si l’actionnaire n’était plus un fonds étranger, le ministre aura obtenu un autre gain. Entre une société établie aux îles Caïmans et une autre installée au Québec, le choix serait facile.

M.  Fitzgibbon a même négocié la possibilité pour Investissement Québec de racheter la participation des actionnaires étrangers. Serait-ce judicieux ? Difficile de répondre en ce moment. Mais il n’y a que des avantages à se garder cette option.

Cela dit, du point de vue des éclairagistes, des chorégraphes, des acrobates et des autres collaborateurs du Cirque, le passeport de l’actionnaire ne change rien à leur problème : on leur doit encore de l’argent. L’annonce de mardi leur donne un peu d’espoir, mais, hélas, leurs chèques sont encore loin d’être envoyés.

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