Comme les perspectives se renversent vite.

Il n’y a pas si longtemps, le revenu minimum garanti était défendu entre autres par les techno-optimistes. Grâce à la quatrième révolution industrielle, le progrès deviendrait bientôt une machine si bien huilée qu’il aurait moins besoin des humains. Cette mesure était ainsi proposée en guise de dédommagement pour les gens remplacés par des machines.

Aujourd’hui, c’est un contexte moins chantant qui ramène l’idée à l’ordre du jour : la crainte des oublis et des retards dans l’aide d’Ottawa et de Québec.

Même si le gouvernement Trudeau a simplifié et bonifié ses programmes d’aide dans la dernière semaine, des gens sans travail craignent encore de ne pas correspondre aux critères.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La crainte des oublis et des retards dans l’aide d’Ottawa et de Québec ramène l’idée du revenu minimum garanti, écrit notre éditorialiste.

Et d’autres qui gardent leur emploi mal payé, comme les préposés aux bénéficiaires, se demandent à quoi bon travailler pour un revenu qui dépasse à peine les programmes d’aide.

La crise de la COVID-19 ramène à l’ordre du jour les questions de la générosité et de l’efficacité de l’aide de l’État. Et donc, du revenu minimum garanti.

Alors, une bonne idée ? Ça dépend de quoi l’on parle…

La mesure réfère en même temps à plusieurs choses : une allocation universelle, un impôt négatif sur le revenu ou encore un régime de soutien sur le revenu.

On les résume à gros traits.

L’allocation universelle est un chèque versé à tout le monde. Elle est simple, transparente, rapide et n’oublie personne. Mais puisque tout le monde en profite, cela coûte cher, et réduit peu les inégalités. Un exemple : la pension de la Sécurité de la vieillesse du fédéral.

L’impôt négatif sur le revenu est un retour d’argent. Plus le revenu est faible, plus on en reçoit. Dépassé un certain seuil, les citoyens ne reçoivent rien. Un exemple : le crédit d’impôt à la solidarité de Québec.

Enfin, le régime de soutien procure un revenu de base aux plus démunis. L’aide sociale en constitue un bon exemple.*

Précisons que chacune de ces mesures peut être déclinée de différentes façons. Elle peut s’ajouter aux programmes sociaux et à la fiscalité redistributive, ou encore les remplacer.

On comprend donc pourquoi le revenu minimum garanti est défendu autant à gauche qu’à droite.

Québec solidaire le réclame comme outil additionnel pour lutter contre la pauvreté, en plus de hausser le salaire minimum, tandis que des libertariens le proposent pour mieux sabrer la bureaucratie de l’aide et laisser les gens se débrouiller dans la compétition sociale avec cette modeste pitance.

Au lieu de se demander s’il faut la recette miracle du « revenu minimum garanti », il serait plus utile de vérifier qui est laissé pour compte dans le système actuel, qui on veut aider, jusqu’à quel niveau, comment cette aide s’intégrerait aux autres programmes, et à quel point elle devrait être redistributive. Tout en surveillant bien sûr les effets pervers, comme le désincitatif au travail (plus payant de recevoir de l’aide que de ne pas travailler) ou au contraire la trappe à la pauvreté (pénaliser les assistés sociaux qui gagnent un petit revenu d’appoint).

Mais avant de s’enfoncer dans ce vaste débat, deux choses urgent. La première : comme le propose Québec solidaire, vérifier si une allocation universelle imposable devrait être versée en avril, en attendant que la prestation fédérale soit versée. Et la seconde : aider ceux qui travaillent dans des services essentiels, comme les préposés aux bénéficiaires, pour un salaire qui leur permet à peine de garder la tête au-dessus de l’eau.

Ils ne sont pas seuls, d’ailleurs. Rappelons que même en période de plein emploi, entre 2018 et 2019, le recours aux banques alimentaires a augmenté de 25 %.

Ce n’est pas cela, le progrès.

Et c’est évitable, même en temps de crise.

* Soulignons d’ailleurs que même en contexte d’austérité, le ministre libéral François Blais, qui comme universitaire avait déjà écrit un essai sur le revenu minimum garanti, a réussi en 2018 à bonifier l’aide sociale pour les bénéficiaires avec une contrainte sévère à l’emploi.

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