Il y a urgence et la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse en a pris acte : elle vient de déposer une première série de recommandations alors que son mandat est loin d’être terminé.

« Le temps presse », a expliqué Régine Laurent.

Comme quoi l’impatience n’est pas toujours un défaut, elle peut également être salutaire.

Dans ce cas, elle est aussi stratégique. Avec le dévoilement de la liste des besoins les plus criants à quelques mois du budget, la balle est maintenant dans le camp de Québec. En période de surplus budgétaires, on se retrouve à faire porter au gouvernement Legault l’odieux d’un éventuel refus d’injecter les sommes nécessaires.

S’il n’agit pas, ses excuses seront d’autant plus difficiles à avaler.

La stratégie de Régine Laurent est d’autant plus louable que la Commission est allée à l’essentiel : elle n’a présenté que cinq recommandations et celles-ci n’ont rien de révolutionnaire.

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« Ce n’est pas nécessaire de réinventer la roue pour prendre soin de nos enfants », a lancé la présidente de la Commission mercredi dernier. Essentiellement, elle demande au gouvernement de réparer… des pots qu’il a lui-même cassés.

Elle en a fait la preuve en démontrant que des programmes efficaces existent pour prendre soin de nos jeunes. Hélas, ils sont franchement moins utiles depuis que Québec leur a imposé une cure minceur.

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« Le rapport final de la Commission s’annonce par ailleurs substantiel », écrit notre éditorialiste.

Par exemple, l’une des cinq recommandations concerne le programme de Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance à l’intention des familles vivant en contexte de vulnérabilité (SIPPE). La formule a fait ses preuves : offrir aux futurs parents et aux familles les plus vulnérables, dès les trois premiers mois de la grossesse, un soutien substantiel de la part de l’État et des organismes communautaires.

Les succès de ce programme reposent sur une approche personnalisée et un accompagnement intensif. Or, on n’a plus vraiment ni l’un ni l’autre. Les intervenants allaient, par le passé, fréquemment rencontrer les familles à domicile. Aujourd’hui, on suggère plutôt aux mères de se déplacer pour participer à des rencontres en groupe au CLSC, a expliqué Mme Laurent.

En somme, on a saboté cette initiative !

Un autre exemple qui en dit long : 5 % des places dans les centres de la petite enfance (CPE) devraient être, partout au Québec, réservées aux enfants de familles vulnérables. Riche idée ! Qui a du plomb dans l’aile depuis plusieurs années.

D’abord parce qu’on a, on le sait, diminué les ressources allouées aux CPE. Ensuite, dans la foulée de la plus récente réforme du système de santé, les accords entre le réseau et les CPE qui permettaient à un tel système de fonctionner ont, dans certains cas, été rompus.

On en vient à un constat similaire quant à l’impact des organismes communautaires qui aident les familles : ils sont précieux, mais n’ont pas les moyens de leurs ambitions. La Commission suggère d’accorder une aide financière minimale de 200 000 $ par organisme.

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Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance… On connaît le dicton. Le raisonnement de Régine Laurent est similaire dans le cas des enfants du Québec. Si vous trouvez que la prévention coûte cher, pensez au prix élevé à payer pour notre société, à terme, si on n’agit pas avec plus de vigueur en amont.

Le gouvernement du Québec aurait tout avantage à suivre avec empressement les premières recommandations de la Commission.

Faut-il rappeler à quel point la situation est déjà préoccupante ? Quelques mois après le drame de Granby – qui a mené à la création de la Commission –, on apprenait que le Québec avait franchi le cap des 100 000 signalements en un an (soit 289 par jour en moyenne).

Le rapport final de la Commission s’annonce par ailleurs substantiel. De fait, de nombreux enjeux cruciaux doivent encore être abordés, de la lourdeur des tâches des intervenants au délicat débat sur la légitimité de prioriser le maintien de l’enfant dans son milieu familial.

Mais une chose est d’ores et déjà certaine : si ce rapport est aussi concret et pertinent que le bilan préliminaire, nos élus auront du mal à le laisser dormir sur une tablette sans remords.

La Commission (jusqu’ici) en chiffres

Courriels : 789

Appels : 246

Mémoires : près de 200

Audiences : 17 jours

Témoins : 77

Les cinq premières recommandations

1. Soutenir le déploiement de la déclaration de grossesse dans toutes les régions du Québec et y assortir un plan d’implantation et de suivi de la mise en œuvre.

2. Réinstaurer les conditions d’efficacité du programme de Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (SIPPE).

3. Déployer des stratégies pour rejoindre les familles vulnérables, afin qu’elles utilisent le 5 % de places mises à leur disposition dans les CPE et, au besoin, augmenter ce pourcentage.

4. Rendre accessible le Programme qualification des jeunes à toute la clientèle visée, dans toutes les organisations ayant pour mandat la protection de la jeunesse.

5. Accorder une aide financière couvrant tous les frais de fonctionnement, au minimum 200 000 $ par année, à chacun des organismes communautaires familles (OCF).

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