Que l’on soutienne ou pas le projet de loi 21, le recours à un bâillon pour le faire adopter in extremis est plus que problématique.

La méthode du bâillon fait partie des outils dont disposent les gouvernements pour forcer les barrages de l’opposition et faire adopter leurs projets législatifs. Toutes les formations politiques ayant déjà exercé le pouvoir ont un jour ou l’autre déployé cette arme.

Selon un calcul établi par le regretté journaliste de Radio-Canada Michel Pepin, entre 1985 et 2015, le Parti libéral du Québec a utilisé le bâillon pour faire adopter 79 lois, contre 70 pour le Parti québécois. À lui seul, l’ancien premier ministre Lucien Bouchard a brandi le bâillon pour faire adopter 53 lois en cinq ans de pouvoir. Même bilan pour Robert Bourassa, mais étalé sur neuf ans.

Généralement, les partis de l’opposition dénoncent le recours au bâillon, mais n’y répugnent pas dès qu’ils arrivent au pouvoir. C’est d’ailleurs le cas de François Legault, qui avait promis de limiter le recours au bâillon alors qu’il siégeait sur les bancs de l’opposition — ce qui ne l’a pas empêché d’y recourir, deux fois plutôt qu’une, moins d’un an après son arrivée au pouvoir.

Reste que la procédure a été banalisée au fil des ans et que ce qui dérange surtout, dans le cas du projet de loi 21, c’est que le bâillon ait servi pour cette pièce législative en particulier.

La loi sur la laïcité de l’État n’est pas anodine, il ne s’agit pas d’un changement au Code de la sécurité routière, mais d’une réforme lourde de conséquences pour la société québécoise en général, et pour les minorités religieuses en particulier.

Cette loi implique des modifications à la Charte québécoise des droits et libertés. Le gouvernement Legault a aussi dû utiliser la clause dérogatoire pour se soustraire aux protections religieuses garanties par les deux chartes — la québécoise et la canadienne.

La moindre des choses aurait été de prendre le temps d’étudier le libellé du texte, un article à la fois. Or, au moment du déclenchement de l’arme d’adoption massive qu’est le bâillon, l’étude détaillée du projet de loi 21 en était rendue à… l’article 6. Il en restait 26, dont ceux touchant les changements à la Charte québécoise des droits et libertés.

En vigueur depuis 1975, cette charte, c’est un peu le socle de la vie collective québécoise, ce qui se rapproche le plus d’un texte constitutionnel. Elle n’est pas inamovible, mais à quelques rarissimes exceptions près, les modifications qui y ont été apportées au fil des ans ont fait l’objet d’un consensus à l’Assemblée nationale.

Or, dans le cas du projet de loi 21, les deux modifications de la Charte ont été adoptées sans débat, sous le rouleau compresseur du bâillon.

Autre « bogue » : si le projet de loi 21 a bien fait l’objet d’une commission parlementaire avant d’avoir été scruté article par article, le ministre Simon Jolin-Barrette a lancé deux amendements dans la marmite carrément à minuit moins une, à quelques heures du vote.

Ces ajouts ne sont pas cosmétiques. Il ne s’agit pas de remplacer des points par des virgules, mais bien de préciser des modalités importantes de l’application de la loi, de déterminer qui en sera responsable et à quelles sanctions doivent s’attendre les contrevenants. Ils ont pour effet de rendre cette loi plus sévère.

On n’est pas ici dans des fioritures législatives, mais bien au cœur du sujet. Ces amendements ont pourtant atterri sur la table des parlementaires bien trop tard pour être soumis à une étude sérieuse.

Autre ajout de dernière minute : quelques jours avant le bâillon, le ministre Jolin-Barrette a sorti de sa manche une définition des signes religieux pour le moins discutable qui risque de donner de sérieux maux de tête aux gestionnaires qui devront l’appliquer. Et qui est tombée trop tard, elle aussi, pour pouvoir être soumise à un examen sérieux.

Pourquoi une telle précipitation ? Le premier ministre François Legault soutient qu’il y va de la « cohésion sociale » du Québec qui aurait souffert si le débat avait dû traîner en longueur.

Mais une loi controversée et hyper délicate, adoptée de force, et qui a été contestée devant la justice le jour même de son entrée en vigueur, n’est pas vraiment la meilleure recette pour l’harmonie sociale non plus… Cet argument ne tient pas la route.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion