Il y a un angle mort dans la lutte contre le décrochage au Québec. On déploie des efforts cruciaux pour encourager les jeunes à obtenir leur diplôme d'études secondaires, mais on ne tente pas avec autant d'énergie de les convaincre de poursuivre leurs études au cégep et à l'université.

C'est une erreur qui risque fort de revenir nous hanter très rapidement si on ne trouve pas un moyen d'y remédier.

C'est l'économiste Pierre Fortin qui a mis le doigt sur le bobo récemment. Il a sonné l'alarme lors des audiences de la Commission des relations avec les citoyens au sujet du projet de loi sur l'immigration. Invité à réfléchir sur les besoins du marché du travail, il a vigoureusement interpellé nos élus à ce sujet. Preuves à l'appui.

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La variation du nombre d'emplois pour les Québécois âgés de 15 ans et plus, de 2016 à 2018, est éloquente. On a rapporté 162 200 emplois de plus pour les titulaires d'un diplôme postsecondaire (professionnel, collégial ou universitaire). Pour la même période, on signalait la perte de 28 300 emplois détenus par ceux qui avaient uniquement un diplôme secondaire, parallèlement à la perte de 4800 emplois pour ceux qui n'ont aucun diplôme.

Ce phénomène est une des choses « qui m'ont pété dans la face depuis deux, trois semaines, a dit l'économiste à Québec. Le message est très clair », selon lui. Obtenir un diplôme d'études secondaires est de moins en moins suffisant compte tenu des besoins actuels des entreprises québécoises.

« Ça n'enlève pas la perspective qu'il faut combattre le décrochage au niveau secondaire, a renchéri Pierre Fortin lors d'une entrevue téléphonique. Mais ça ajoute un deuxième défi, au moins aussi important à long terme : envoyer un grand nombre (de jeunes) au cégep et à l'université. »

Car la tendance risque fort de s'accentuer. Dans ses écrits récents au sujet des changements provoqués par le développement de l'intelligence artificielle, l'historien Yuval Noah Harari l'exprime de façon brutale. « Malgré l'apparition de nombreux emplois nouveaux, nous pourrions donc assister à l'essor d'une nouvelle classe "inutile" et souffrir à la fois d'un chômage élevé et d'une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Beaucoup pourraient connaître le sort non pas des cochers du XIXe siècle reconvertis en taxis, mais des chevaux, qui ont été de plus en plus chassés du marché du travail », a-t-il écrit dans son ouvrage 21 leçons pour le XXIe siècle.

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Évidemment, mettre l'accent sur la persévérance scolaire au secondaire en priorité demeure souhaitable.

Si on souhaite qu'un jeune obtienne un diplôme universitaire, il faut d'abord l'avoir convaincu de ne pas jeter l'éponge avant. Mais les efforts et les ressources ne sont hélas pas au rendez-vous par la suite, ce que confirme d'ailleurs la Fédération des cégeps du Québec.

Elle estime elle aussi que nous aurions tout avantage à moduler notre discours en matière de persévérance scolaire.

« On a une politique de la persévérance qui se limite à l'obtention d'un diplôme de secondaire 5, dit son président, Bernard Tremblay. Comme ambition, ce n'est pas suffisant. »

Le SOS de Pierre Fortin, lancé à Québec, était assorti d'une recommandation : pourquoi le gouvernement provincial ne lancerait-il pas une campagne de sensibilisation massive, à l'image de ce qui se fait pour la sécurité routière ou les dangers de l'alcool au volant ?

C'est peut-être une avenue à explorer... Chose certaine, il faut trouver un moyen de faire comprendre aux jeunes que la nature du travail est en train de changer. Et que décrocher, peu importe le moment choisi, c'est danser sur un volcan. Encore plus qu'auparavant.

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