Lors de son témoignage précis et méthodique, Jody Wilson-Raybould a dit avoir subi un « effort constant et soutenu » de la part de 11 personnes afin qu'elle change d'idée sur le sort de SNC-Lavalin.

Quelle fut la nature exacte de ces pressions ? Impossible de répondre pour l'instant : nous n'avons qu'une seule version de l'histoire, ce qui n'a d'ailleurs pas empêché de nombreux commentateurs (anglophones pour la plupart) de tirer de grandes conclusions, allant jusqu'à exiger la dissolution immédiatement du gouvernement...

Comment dit-on audi alteram partem en anglais ?

Aussi crédible qu'ait été le témoignage livré mercredi dernier, il importe maintenant d'entendre les acteurs nommés le plus fréquemment par Mme Wilson-Raybould, comme Gerald Butts et Michael Wernick, qui seront entendus dans les prochains jours, et possiblement les membres de l'entourage du premier ministre, Katie Telford et Mathieu Bouchard.

Mais il y a une personne qui manque dans cette liste. Et cette personne, ironiquement, est celle dont le nom se retrouve le plus souvent cité dans le mot d'ouverture de Mme Wilson-Raybould : Justin Trudeau.

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Si l'on se fie à la version entendue, le premier ministre a joué un rôle actif dans cette histoire, notamment lorsqu'il a rencontré Jody Wilson-Raybould le 17 septembre. Il aurait alors imposé le cas SNC dans la discussion. Il aurait évoqué son titre de député du Québec. Et il aurait, malgré tout, fermement nié vouloir s'ingérer dans la décision qui revenait à la procureure générale, après qu'elle l'eut confrontée à ce sujet.

À cela s'ajoutent la lettre envoyée à la ministre le 7 décembre signée par Trudeau et portant sur SNC, les appels faits le 19 décembre par le greffier Wernick au nom du premier ministre (les fameuses « menaces voilées »), ainsi que l'appel fait par Trudeau pour rétrograder Mme Wilson-Raybould le 7 janvier.

Attention : rien de tout cela ne permet à l'opposition de hurler à la « corruption » et à l'« illégalité », comme elle le fait avec tant de désinvolture. Oui, il y a eu pressions constantes et répétées, c'est assez évident maintenant. Mais pour ce que l'on en sait, aucun geste illégal n'a été fait, comme le reconnaît elle-même l'ancienne procureure générale. Aucune intervention ne l'a forcé à faire quoi que ce soit. Et sa décision de ne pas négocier d'accord de réparation n'a pas été renversée.

Si l'implication directe du premier ministre prouve quelque chose, donc, ce n'est certainement pas qu'il y a eu entrave à la justice. C'est d'abord que l'entourage de Justin Trudeau ne l'a pas « protégé » de toute cette affaire en lui évitant d'avoir à s'en mêler personnellement. Et surtout, que son témoignage est crucial pour comprendre ce qui s'est réellement passé derrière les portes closes.

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Soyons honnêtes, le PLC a perdu la bataille de l'opinion publique jusqu'ici. C'est flagrant au Canada anglais, mais ça semble tranquillement faire son chemin au Québec aussi, malgré le capital de sympathie que conserve SNC-Lavalin.

Les témoignages des seconds violons ne suffiront donc pas pour tirer le fin mot de toute cette histoire.

Inutile de lancer une vaste enquête publique ou d'appeler la GRC (pourquoi pas l'armée, tant qu'à y être ?). Ce qu'il faut, c'est entendre Justin Trudeau exprimer « sa » vérité. Il doit en effet livrer sa version des faits et lâcher les lignes de presse mal traduites qui lui font dire sans cesse qu'il est « complètement en désaccord avec la caractérisation des événements par l'ex-procureure générale »...

Si le premier ministre n'a rien à cacher et veut reprendre la main, qu'il s'invite donc au comité de la justice ou qu'il choisisse une tribune où il accepte de s'expliquer longuement et de répondre à toutes les questions. Car elles sont nombreuses.

Jusqu'ici, le premier ministre a misé sur la transparence en levant le sceau de la confidentialité qui empêchait son ancienne ministre de s'exprimer. C'est tout à son honneur. Il doit maintenant aller plus loin en expliquant à son tour ce qui s'est passé durant les quatre mois détaillés en long et en large par Mme Wilson-Raybould.

Pas besoin de dissoudre le gouvernement à huit mois des élections. Il faut simplement entendre les deux parties et laisser le commissaire à l'éthique finir son rapport.

Ce sera ensuite aux électeurs l'automne prochain, à la lumière des témoignages des différentes parties, de décider s'ils accordent à nouveau leur confiance au premier ministre.

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