Est-ce une simple crampe au cerveau qui a provoqué la sortie choquante du député conservateur Luc Berthold au sujet de l'utilisation du français par la ministre Diane Lebouthillier à la Chambre des communes ?

On aimerait le croire. Le député fait tout pour nous en persuader, d'ailleurs.

Après avoir critiqué la ministre du Revenu mardi en déplorant que les conservateurs reçoivent « juste des réponses en français » lorsqu'ils la questionnent, il a rapidement présenté ses excuses. « Aujourd'hui, dans l'émotion des débats de la Chambre des communes, j'ai dit des mots sur l'usage du français qui ont dépassé ma pensée », a-t-il écrit sur Facebook.

Mais il ne s'agit probablement pas d'un fâcheux coup de sang.

Ça ressemble plutôt à la manifestation d'un syndrome plus large : d'un océan à l'autre, certains semblent avoir du mal à digérer qu'une ministre puisse être unilingue francophone.

Comment ce virus a-t-il pu contaminer Luc Berthold, député francophone de Mégantic-L'Érable ? C'est à n'y rien comprendre. Mais il est clair que ce n'est pas un incident insignifiant. Et il n'est pas non plus anecdotique.

Les critiques de Luc Berthold font écho à une polémique au Canada anglais datant de 2016. La ministre Lebouthillier avait alors refusé d'accorder une entrevue en anglais sur les Panama Papers. Elle ne se sentait pas à l'aise pour discuter d'un sujet « aussi pointu » dans la langue de Shakespeare. L'émission As It Happens en a fait une nouvelle.

« Certains de nos auditeurs sont perplexes », a-t-on écrit sur le site de la CBC. Et d'ajouter : « Il y a eu un flot continu de politiciens autour de la table du Conseil des ministres qui ne pouvaient pas parler français. Mais quand avons-nous vu pour la dernière fois un ministre qui ne pouvait pas parler la langue de la majorité des Canadiens ? »

Deux solitudes, vous dites ? De toute évidence !

Si un ministre unilingue anglophone occupe un poste clé pour lequel la maîtrise du français serait préférable, on le soulignera, au Québec, avec raison. Ça s'était notamment produit dans le cas d'Anne McLellan, nommée ministre de la Justice à la fin des années 90, à l'époque du renvoi relatif à la sécession du Québec. Ou, plus tard, quand Stephen Harper avait nommé Rob Nicholson aux Affaires étrangères.

Mais en général, on ne s'émeut guère du fait que plusieurs ministres fédéraux ne parlent pas un mot de français. C'est d'ailleurs le cas actuellement. Au moins une dizaine de ministres du gouvernement fédéral ne parlent que l'anglais. On s'y résigne.

Notons également qu'il n'y a pas de députés francophones à Ottawa qui partent en peur parce que des ministres anglophones répondent toujours en anglais aux questions qu'on leur pose.

Plusieurs ministres - dont Diane Lebouthillier - suivent des cours pour devenir bilingues. Il serait évidemment souhaitable que tous le fassent, mais personne ne considère que ceux qui n'en suivent pas commettent un crime de lèse-majesté.

Bref, on a beau tourner l'affaire dans tous les sens, une conclusion s'impose : les critiques à l'égard de la ministre du Revenu sont irrecevables. Et inadmissibles.

La controverse permet hélas de constater qu'il y a encore trop souvent, au Canada, une indignation à géométrie variable lorsqu'il s'agit du bilinguisme.

Certains peuvent s'offusquer de voir qu'on exige la maîtrise du français pour obtenir un emploi dans la fonction publique et, à la fois, déplorer qu'une ministre ne parle pas anglais.

La prochaine fois que la ministre Lebouthillier répondra en français à une question, Luc Berthold devrait l'applaudir au lieu de la critiquer. Parce que c'est peut-être la seule façon de faire comprendre aux sceptiques et aux incrédules qu'être à la fois unilingue francophone et ministre fédéral, ce n'est pas une hérésie !

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