Le gouvernement Legault envisage de prolonger la session parlementaire afin de donner aux députés le temps nécessaire pour adopter les projets de loi sur l’immigration et la laïcité. C’est tout à son honneur.

Mais soyons honnêtes, la congestion est telle à l’Assemblée nationale qu’on ne réglera pas le sort de ces enjeux en ajoutant quelques jours au calendrier. Il y a une limite à ce que peut faire l’homme-orchestre de la CAQ, Simon Jolin-Barrette, qui parraine les deux projets de loi… en plus d’être leader parlementaire.

Il est donc évident que le gouvernement devra se résoudre à recourir au bâillon s’il veut une victoire avant de partir en vacances. Et puisqu’il serait odieux d’enfoncer deux lois aux grandes implications dans la gorge des parlementaires, la décence la plus élémentaire devrait l’inciter à en choisir une. Et donc, à reporter l’autre à l’automne.

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François Legault a déjà fait savoir qu’il « n’aime pas » l’idée d’imposer un bâillon pour adopter le projet de loi 9 qui vise à réformer le système d’immigration.

On le comprend. Il s’agit d’une question délicate, et le rejet de 18 000 candidatures ne plaît à personne.

Mais si on compare ces inconvénients aux répercussions d’une adoption à toute vapeur du projet de loi 21 sur les signes religieux, ces dernières sont de toute évidence plus importantes.

Le projet de loi sur la laïcité touche en effet à quelque chose de capital.

On porte atteinte à des droits fondamentaux. On interdit à des femmes voilées certaines professions. On blinde le projet de loi contre toute intervention des tribunaux. Et on le fait de manière préventive, avant même qu’une poursuite ne soit entamée.

Voilà des gestes lourds de conséquences pour un État. Des gestes qui commandent une profonde réflexion avant d’aller de l’avant.

Oui, bien sûr, on parle de laïcité depuis plus de 10 ans et on a tous hâte de passer à autre chose. Mais la vérité, c’est qu’on débat depuis quelques mois à peine de la disposition de dérogation et de l’ajout des enseignants aux fonctions visées. Et on ne peut tout de même pas décréter l’urgence d’agir simplement parce qu’il y a lassitude dans la population !

Vu le caractère fondamental du projet de loi 21, la moindre des choses est de bien faire les choses, quitte à repousser son adoption à l’automne.

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En revanche, l’urgence d’agir en matière d’immigration est évidente.

Il n’y a, pour s’en convaincre, qu’à tendre l’oreille aux entrepreneurs qui manquent cruellement de main-d’œuvre. Ou encore aux commerçants obligés de fermer leurs portes, faute d’employés.

Or tout retard dans l’adoption du projet de loi 9 repousse l’arrimage plus serré de l’immigration avec les besoins de main-d’œuvre, en plus de reporter l’amélioration des services aux nouveaux arrivants et de ralentir les discussions avec Ottawa sur la résidence permanente.

Dans un tel contexte, le leader Jolin-Barrette aurait tout intérêt à se concentrer sur le projet de loi 9 plutôt que sur le projet de loi 21. Surtout que les parlementaires ont déjà passé presque quatre fois plus d’heures à étudier en détail les articles sur l’immigration (43 heures) que ceux sur la laïcité (12 heures). Ils ont aussi analysé neuf articles portant sur la réforme, mais seulement trois sur les signes religieux.

Malheureusement, le ministre a fait le choix inverse en mettant sur la glace le projet de loi sur l’immigration mardi dernier. Il en retarde ainsi l’adoption pour mettre plutôt l’accent sur la laïcité.

Ce faisant, il mène le Parlement vers une situation absurde où il terminera la session en ayant étudié deux projets de loi à moitié… plutôt qu’un seul à fond. Non pas à cause du « niaisage » de l’opposition, comme l’a dit M. Jolin-Barrette, mais en raison d’un menu trop chargé imposé par ce dernier.

Si la CAQ a recours au bâillon parlementaire pour tout régler avant le congé estival, elle devra donc porter l’odieux de sa précipitation. Et elle devra vivre avec les conséquences d’une loi sur la laïcité qui manque de légitimité.

Projet de loi 9 (immigration) : 67 heures 16 h 30 min en consultations 7 h 15 min en adoption de principe 43 h 30 min en étude détaillée

Projet de loi 21 (laïcité) : 46 heures 27 h en consultations 7 h 30 min en adoption de principe 12 heures en étude détaillée

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