Le Canada a atteint récemment le plus faible taux de pauvreté de son histoire… mais, la nouvelle a fait autant de bruit qu’un arbre qui tombe dans une forêt sans que personne ne soit là pour l’entendre.

Fort heureusement, certains l’ont remarqué.

Le chroniqueur du New York Times David Brooks a écrit le mois dernier que les Canadiens sont en train de « gagner la guerre contre la pauvreté », contrairement aux Américains.

Il est utile de le souligner. Permettez-nous de prendre le temps de le faire à notre tour. D’expliquer pourquoi il s’agit bel et bien d’une bonne nouvelle, mais aussi pourquoi des nuances sont essentielles afin de bien évaluer le chemin qui vient d’être parcouru et celui qui reste à faire.

Jetons d’abord un coup d’œil sur les données : Statistique Canada a révélé il y a quelques semaines que le taux de pauvreté en 2017 s’est établi à 9,5 %, soit « le plus bas jamais enregistré ».

Ça signifie que l’objectif du gouvernement fédéral pour 2020, qui était de réduire la pauvreté de 20 % (à partir des données de 2015) a déjà été atteint. Pas moins de 825 000 Canadiens ont été « sortis de la pauvreté » entre 2015 et 2017, selon les chiffres de Statistique Canada.

Comment s’y prend-on pour calculer le seuil de la pauvreté ? On évalue si les individus ou les familles ont les moyens d’assumer le coût du « panier de consommation » qui leur permet de « répondre à leurs besoins fondamentaux ». Ce coût varie, évidemment, selon l’endroit où on habite.

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Des bémols ? Oui, il y en a. Le Collectif pour un Québec sans pauvreté, notamment, souligne que pouvoir satisfaire ses besoins de base ne signifie pas nécessairement qu’on ne vit plus dans la pauvreté. C’est vrai. Par ailleurs, la façon dont le panier en question a été conçu fait aussi l’objet de débats.

Cela dit, experts et militants s’entendent pour dire qu’il n’existe pas de mesure parfaite du taux de pauvreté. Et celle qu’on a choisi d’utiliser à Ottawa fait généralement consensus.

Entendons-nous : se retrouver du jour au lendemain au-dessus du seuil de la pauvreté ne veut pas dire que vous ne tirez plus le diable par la queue. Pour la région de Montréal, par exemple, le seuil de pauvreté équivaut à un revenu de 35 427 $ après impôts pour une famille de quatre. Avec une telle somme, on est loin d’être à l’aise financièrement.

Il reste que la situation est désormais moins précaire pour un nombre appréciable de Canadiens et que les résultats obtenus ne sont pas uniquement la conséquence du dynamisme et de la croissance de notre économie. Ils font aussi la preuve que des mesures ciblées peuvent jouer un rôle de premier plan en matière de réduction de la pauvreté.

À ce chapitre, tant les experts que le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Jean-Yves Duclos, estiment que c’est l’allocation canadienne pour enfants qui a eu le plus grand impact sur les contribuables dont les revenus sont les moins élevés. Elle assure désormais le transfert de plus de 23 milliards de dollars annuellement à près de 3,7 millions de familles. Le supplément de revenu garanti, qui bénéficie aux aînés qui recevaient déjà la pension de la Sécurité de la vieillesse, se classe bon deuxième au chapitre des interventions les plus efficaces.

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David Brooks n’a donc pas tort ; nous sommes maintenant mieux positionnés que nos voisins américains pour gagner la guerre contre la pauvreté. C’est indéniable. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

Avec un taux de pauvreté se situant à 9,5 %, on dénombre encore 3,4 millions de personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté au Canada.

La prochaine cible fixée par Ottawa est ambitieuse : réduire le taux de pauvreté à 6 % en 2030.

Il y aura fort à faire pour atteindre cet objectif. D’autres mesures ont déjà été planifiées. Le ministre Duclos mentionne entre autres l’allocation canadienne pour le logement – une aide allant jusqu’à 2500 $ pour ceux qui peinent à payer leur loyer –, qui devrait être instaurée l’an prochain. S’arrêter en si bon chemin serait une erreur.

Les progrès qui ont été faits sont fragiles, mais la stratégie fonctionne. Ça devrait servir à convaincre nos élus, peu importe leur allégeance politique, qu’Ottawa doit continuer de lutter contre la pauvreté avec aplomb même s’il s’agit de toute évidence d’un sujet qui ne fait pas la manchette.

Le seuil de pauvreté au Québec

Montréal

Personne seule : 17 714 $

Famille de quatre : 35 427 $

Québec

Personne seule : 17 167

Famille de quatre : 34 334 $

Régions rurales

Personne seule : 17 275 $

Famille de quatre : 34 549 $

Source : Seuils de la Mesure du panier de consommation (MPC), 2015, Statistique Canada

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