Sur recommandation de leur procureur, les juges de la Cour pénale internationale pourraient bientôt lancer un mandat d'arrêt contre le président soudanais, Omar al-Bachir. Ce tribunal tout neuf (il n'est fonctionnel que depuis 2002) ciblerait ainsi pour la première fois un chef d'État en exercice, lui accolant notamment l'accusation la plus grave, celle de génocide, relativement à ce qui se passe au Darfour depuis 2003.

Dans cette province soudanaise, on le sait, un conflit largement alimenté par des milices en prise directe avec Khartoum aurait fait au moins 300 000 morts et plus d'un million de réfugiés ; tous ceux-là doivent leur infortune à leur appartenance ethno-tribale, plaide le procureur de la CPI. Une force de paix bicéphale de près de 10 000 militaires, presque tous africains, ne parvient pas à normaliser la situation et on ne voit pas comment ces effectifs pourraient être rapidement augmentés.

Quel impact aura sur ce sombre échiquier l'intervention de la Cour pénale internationale ?

La vérité est qu'on l'ignore, tout simplement.

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On l'a dit : il s'agit d'une première initiative du genre pour la CPI (le président libérien Charles Taylor et le leader serbe Slobodan Milosevic, eux, ont été déférés devant des tribunaux ad hoc). On peut l'appuyer pour deux raisons.

La première en est une de simple justice, associée au devoir d'intervention dont le principe est aujourd'hui largement reconnu.

La seconde suppose la foi en des retombées positives de l'action de la CPI. Des retombées non pas judiciaires, puisque personne ne croit une seule seconde que le leader soudanais pourrait se rendre ou être bientôt appréhendé (par qui?), mais diplomatiques et politiques. C'est la position du New York Times, par exemple, qui fait notamment valoir que Pékin, ami et grand pourvoyeur d'armes du régime soudanais, pourrait être gêné de se voir associé à un génocide reconnu comme tel.

Mais, en pratique, les choses peuvent être plus tordues.

Au Zimbabwe, on soupçonne que Robert Mugabe s'est accroché au pouvoir par crainte d'être – lui ou ses sbires – éventuellement pourchassé par la CPI... ce qui n'est pas précisément une bonne nouvelle pour les Zimbabwéens.

Au Soudan, dès l'annonce de la requête du mandat d'amener, les envoyés internationaux ont dû courir aux abris par peur des représailles. On croit qu'Omar al-Bachir (qui a déjà refusé des compromis suggérés par la CPI) aura lui aussi le réflexe de s'accrocher à son fauteuil présidentiel, quitte à user d'une violence redoublée, notamment au cours des élections à venir. La Ligue arabe et l'Union africaine, dont fait partie le Soudan, estiment qu'une inculpation de l'homme fort de Khartoum serait une catastrophe. Sans compter que certains décèlent, dans cette justice du Nord appliquée au Sud, des relents de colonialisme.

Bref, entre les grands idéaux de justice et la résolution réelle des conflits, peut exister un gouffre. Au surplus, très jeune organe subsidiaire de l'ONU, la CPI doit éviter de développer à son tour un goût immodéré pour les éclats symboliques éphémères, les bureaucraties ronflantes et les lettres cachetées qui finissent au recyclage.

Il ne s'agit pas de savoir si Omar al-Bachir mérite d'être mis hors d'état de nuire (il en a fait plus qu'assez), mais bien de déterminer le meilleur moyen d'y arriver. Or, ce qu'on subodore déjà, c'est qu'au Soudan comme ailleurs, l'existence même de la CPI induit une... «peur de la police» à la puissance mille, dont les effets pervers pourraient être dévastateurs.

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