Indépendance du Québec, troisième lien, dette fédérale : l’équipe éditoriale de La Presse a profité d’une rencontre avec le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, pour lui poser vos questions sur divers sujets. Ces questions avaient été récoltées lors d’un appel à tous auprès des lecteurs de La Presse. Voici les réponses.

Comment osez-vous encore vous prétendre indépendantiste alors que vous ne parlez jamais d’indépendance, mais seulement d’améliorer la place du Québec dans le Canada comme le voulait Maurice Duplessis ? François Legault, lui, a eu le courage de dire qu’il n’est plus indépendantiste et se contente d’être nationaliste.

Kathleen Sabbatini

Yves-François Blanchet : La personne avait manifestement écrit sa propre réponse à sa propre question, alors je la lui laisse. L’époque où on s’amusait à sonder les gens qui circulent dans la rue avec un indépendantomètre pour savoir si ce sont des vrais ou des pas vrais, ça n’existe plus. Si quelqu’un doute que je sois indépendantiste… Un, ça lui appartient. Deux, il manque de jugement.

Je ne serais pas en politique si ce n’était pas dans la perspective de l’indépendance du Québec. Maintenant, si quelqu’un s’attend à ce que je promette que demain matin, du Parlement fédéral, j’organise un référendum sur l’indépendance et que je le gagne à 72 %, il va sans doute être déçu. C’est un projet auquel je crois profondément. La période qu’on lui a consacrée dans l’histoire du Québec représente encore très peu de chose. On a encore du temps. Je pense que dans quelques années, ça va être redevenu un enjeu majeur sur lequel les Québécois vont se pencher.

Face au déficit énorme prévu, comment prévoyez-vous structurer le remboursement de la dette nationale sans affecter la qualité de vie des Canadiens et, surtout, hypothéquer les générations à venir ?

Bernard Bourdoin

Y.-F. B. : Une dette, dans une certaine mesure, hypothèque toujours les générations à venir. Le principe de base, c’est qu’il faut que l’investissement qui est fait rapporte plus que ce qu’il a coûté. Tous les pays industrialisés ont fait des investissements importants pendant la pandémie. Le Canada était dans une bonne posture. Son ratio de dette était très raisonnable et c’était donc correct que l’État investisse beaucoup. Mais j’en ai contre deux aspects des investissements du Canada.

Le premier, c’est la qualité de ces investissements. Exemple : quand la PCRE (prestation canadienne de la relance économique) est un remède à un mal qui n’existe plus, on arrête la prescription, sauf pour les gens qui en ont encore besoin comme dans les arts et le tourisme.

Le deuxième aspect que je veux soulever, c’est que le déficit fédéral paraît plus bas que ce qu’il devrait être en réalité. Parce que même dans l’énorme déséquilibre que l’on vit, le fédéral refuse encore de faire les transferts d’argent pour les soins de santé que la totalité des provinces demande.

On sait que le service de la dette est un poste budgétaire dont le principal poids est tributaire des taux d’intérêt. Mon inquiétude, c’est que tout le monde semble s’être entendu pour nier le risque d’inflation. Or, une augmentation des taux d’intérêt de 1 % sur une dette qui aura augmenté de 400 milliards, c’est 4 milliards qui viennent de partir chaque année, merci, bonjour.

Seriez-vous en mesure d’identifier une mesure avancée par les partis qui pourraient être élus avec laquelle vous êtes en accord ? Et une qualité que vous admirez chez l’un des chefs susceptibles de devenir premier ministre ?

Nicole Gignac

Y.-F. B. : J’apprécie l’idée que les conservateurs reconnaissent les compétences des provinces. Mais – et c’est indissociable de mon propos ! – je n’y crois pas sans un chien de garde. Et le chien de garde, c’est nous.

Du côté des libéraux, si on élimine tout ce qui est identitaire, il y a certaines valeurs sociales sur lesquelles on est relativement proches. Sur une certaine reconnaissance de la diversité, par exemple. C’est ce qui fait que sur des sujets comme l’aide médicale à mourir ou les thérapies de conversion (pour l’orientation sexuelle), on n’a pas de difficulté à s’entendre avec les libéraux.

Pour ce qui est des qualités de M. Trudeau et de M. O’Toole, je vous dirais que quand on se croise et qu’il n’y a pas de caméras, on pourrait probablement aller souper au restaurant et avoir du fun. Sincèrement. Et se trouver drôles. Je dirais même que quand on ne sera plus chefs de parti, aucun des trois, on devrait l’organiser. On se racontera nos bons et nos mauvais coups au parlement autour d’une bouteille de vin ou d’une bière !

J’aimerais que M. Blanchet m’explique comment un nouveau tunnel de 10 milliards comme le troisième lien de Québec, payé à même les impôts des Canadiens, aiderait à réduire les émissions de carbone alors qu’il encourage encore plus les gens à s’établir en banlieue et à utiliser la voiture ?

Marie St-Jean

Y.-F. B. : Je vais redire ce qui est ma position sur le troisième lien. Les infrastructures relèvent du Québec et des provinces. Point. Pas peut-être, pas juste quand on est d’accord avec elles. Québec a donc la responsabilité des évaluations environnementales, des consultations populaires et d’obtenir l’acceptabilité sociale autour de son projet. Je suis convaincu qu’un projet de cette envergure, avec un budget de cette envergure, a le potentiel d’être solide, valable, pertinent – peut-être même de façon transformable au gré du temps – en matière environnementale. Mais ça ne m’appartient pas. Lorsqu’il y a un grand trou devant moi avec trois feuilles, je sais que c’est un piège. J’aurais dû y penser il y a trois semaines. Alors je ne vais pas là, ça ne relève pas de moi.

Propos recueillis par Philippe Mercure

Note : Les questions et réponses ont été légèrement éditées pour en faciliter la lecture.