L'ensemble de la communauté de Sainte-Justine est en grande souffrance. Alors que nous devrions célébrer le déménagement dans nos nouveaux locaux, la perte dans des conditions tragiques de notre collègue Alain Sirard nous plonge dans un sentiment paradoxal de tristesse et d'incompréhension.

Les circonstances de sa mort sont tragiques, symboliquement et géographiquement. Alain s'est enlevé la vie dans notre maison qui était aussi la sienne.

Le docteur Sirard a été formé au CHU Sainte-Justine. Après avoir exercé la pédiatrie générale à Gatineau, il est revenu vers son alma mater il y a 20 ans pour exercer une médecine universitaire en tant que professeur de clinique à l'Université de Montréal. À l'hôpital, il a oeuvré avec ferveur auprès des enfants souffrant de pathologies complexes en veillant sur leurs besoins physiques et psychologiques.

Plusieurs générations de pédiatres ont témoigné de son engagement et de sa créativité dans son approche pragmatique auprès des enfants. Il leur enseignait la « vraie » pédiatrie. Ses étudiants l'ont d'ailleurs honoré du prix du meilleur professeur du département de pédiatrie en 2005.

Alain était un ardent défenseur des enfants, de ces petits qui n'ont pas voix au chapitre. C'est pourquoi dans les 15 dernières années, il avait décidé de consacrer sa carrière à défendre la cause des enfants maltraités avec passion et abnégation.

Toujours de bonne foi, et parce que nous avons souvent les défauts de nos qualités, cette intensité a pu s'apparenter à de l'acharnement parfois déploré. Il était d'ailleurs le premier médecin québécois à avoir obtenu la certification américaine en maltraitance pédiatrique (Certification in Child Abuse Pediatrics).

Soupçonner, évaluer et intervenir professionnellement dans le domaine de la maltraitance est un métier difficile, exigeant, mais douloureusement nécessaire. Ce travail demande un dévouement et une minutie bien au-delà d'une médecine scientifique, commandant des qualités de coeur et de vision qui placent le soignant au centre de l'action sociale.

La nature du travail en protection de l'enfance exige que l'on remette en cause des conditions cliniques inhabituelles ou inexpliquées avec pour unique finalité la santé et les droits de l'enfant.

Contrairement à ce qu'on aurait pu lire ou entendre autour de la pratique clinique de notre confrère, un médecin, comme un policier ou un enseignant, ne soupçonne jamais « à tort », il soupçonne, c'est tout. L'exercice est balisé, mais périlleux, chargé d'émotions violentes. Ingrat, on pourrait dire. Les parents soupçonnés seront évidemment plus nombreux que ceux qui seront incriminés et dont l'enfant exigera des mesures de protection, mais aucun d'entre eux ne dira jamais merci.

Ces dernières années, accusations, rumeurs, lourdeur des processus administratifs, pressions médiatiques et sociales auront porté ombrage au travail de notre collègue et de tous ceux qui oeuvrent dans le domaine. Nous le déplorons vivement.

En dépit des blessures profondes infligées aux familles soupçonnées et aux équipes soignantes, pour les médecins de Sainte-Justine, la défense des enfants vulnérables demeurera l'immense priorité pour laquelle ils se sont toujours engagés et continueront de se battre par devoir et par passion.

À la famille d'Alain et à ses proches, nous offrons nos sincères condoléances et nous désirons leur témoigner notre solidarité dans ces moments particulièrement difficiles.

Qu'ils soient assurés de notre détermination à poursuivre la mission pour laquelle notre collègue et ami s'était engagé. En hommage au Docteur Alain Sirard, le drapeau de notre institution a été mis en berne.

Au nom de tous les membres du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens du CHU Sainte-Justine.