Plusieurs Québécois ignorent l'existence d'un cartel de l'érable dans la Belle province. Ce modèle unique de commercialisation est devenu une source de moquerie gênante qui déteint sur l'image du Canada à titre de pourvoyeur important de sirop d'érable à travers le monde.

Conformément à la Loi sur la mise en marché au Québec, la vente de sève et de sirop d'érable du Québec est régie par le plan conjoint des producteurs acéricoles du Québec. Ces derniers sont assujettis à un système de quotas. L'ensemble des acériculteurs de la province qui produisent en vrac ou en barils doivent commercialiser leur récolte par l'intermédiaire d'un guichet unique de la Fédération des producteurs acéricoles du Québec, une filière de l'imposante Union des producteurs agricoles. S'ils le désirent, les acériculteurs peuvent toutefois vendre directement aux consommateurs, mais ils doivent déclarer leurs ventes à la Fédération. C'est ni plus ni moins un cartel de l'érable.

Afin de mieux contrôler les prix sur le marché, comme dans le domaine du pétrole, la Fédération a créé, ces dernières années, une réserve stratégique mondiale de sirop d'érable afin d'éviter les ventes au rabais à la suite d'une bonne production saisonnière. Cette réserve sert aussi à combler une demande qui est parfois particulièrement difficile à anticiper. C'est cette même réserve qui a attiré l'attention du monde entier après un vol inusité, l'an dernier, de 2700 tonnes de sirop d'érable. Cet incident n'a pas aidé la cause des acériculteurs québécois, encore moins l'image du Canada.

Cette année, ce sont les saisies qui retiennent l'attention. Des producteurs acéricoles en Estrie et en Beauce ont vu leurs récoltes de 2013 saisies par des huissiers. Ces producteurs tentaient de vendre leurs produits à des agents américains. Ceci constitue une infraction à la loi québécoise de mise en marché, même s'ils ont obtenu un permis fédéral pour exporter. La valeur de la production saisie ces dernières semaines serait estimée à plus de 100 000$. Malgré les pénalités, ces producteurs délinquants tiennent à continuer à contester d'une façon ou d'une autre. Dans le cartel de l'érable, on passe constamment de l'invraisemblable au ridicule.

L'industrie québécoise acéricole représente environ 80% de la production mondiale du sirop d'érable et emploie plus de 55 000 personnes. Avec ses quelque 40 000 producteurs, le poids du Québec sur le marché n'est donc pas marginal. La stratégie de commercialisation québécoise altère les conditions de marché pour l'ensemble de l'industrie canadienne, pas seulement pour le Québec.

Vu son fantasme de tout contrôler, la Fédération des producteurs acéricoles du Québec perd tranquillement des alliés. Plusieurs producteurs, plus audacieux, contournent les règles de la Fédération. Certains se font prendre, d'autres persévèrent. Certains producteurs, pour qui il est impossible d'obtenir des quotas de production, peuvent avoir jusqu'à 5000 entailles, mais se retrouvent devant l'impossibilité de vendre leur produit, sous peine de représailles par la Fédération.

Dans le régime actuel, l'innovation et le développement de nouveaux produits d'érable sont des priorités stratégiques tout à fait secondaires. C'est la gestion de l'offre qui prime.

Pendant ce temps, d'autres provinces avancent et foncent. Compte tenu de son potentiel d'entaillage, la production acéricole ontarienne a plus que doublé depuis 2006. Ces dernières années, l'Ontario et même le Nouveau-Brunswick sont devenus de véritables concepteurs de produits d'érable novateurs à valeur ajoutée, comme le vinaigre à l'érable, le vin de glace à l'érable et même le maïs soufflé à l'érable. À regret, si on la compare à d'autres provinces, l'innovation acéricole québécoise peut faire mieux, beaucoup mieux.

Décidément, contrairement à ses provinces voisines, la filière acéricole québécoise se contente de ses acquis et cesse de croître. En protégeant quelques producteurs, le cartel de l'érable étouffe l'esprit entrepreneurial québécois au sein d'un secteur qui en a grandement besoin.