Selon la gauche, les médias traditionnels sont au service des dominants: le grand capital, le régime fédéral et l'État. Ils contrôlent les consciences et empêchent toute remise en question de l'ordre établi. Qui ne se souvient pas de Pierre Falardeau qui renommait Radio-Canada, «Radio-Cadenas» ? Les élections deviennent alors un «piège à cons», selon l'expression de Jean-Paul Sartre.

Le saut au Parti québécois de Pierre Duchesne, Bernard Drainville et Raymond Archambault ébranle cependant cette thèse. Les propos de Pierre Foglia, dans sa chronique du 9 juin dernier, sont aussi révélateurs. Homme de gauche et indépendantiste notoire, il explique que pas une fois en 45 ans de carrière il n'a été rappelé à l'ordre par ses patrons. «Et si ce n'était que de moi!» Sans trop de retenue, il ajoute une quinzaine de noms de ceux et celles qui font quotidiennement une bonne part du journal. Quant au Devoir, il faudrait être de mauvaise foi pour y trouver un instrument du pouvoir établi.

Enfin, si Pierre-Karl Péladeau ne roule pas à gauche, il ne cache pas son attachement à la cause souverainiste. Le Québec ne compte pas l'équivalent du National Post canadien ou de Fox News aux États-Unis. En somme, l'idée d'un complot médiatique défendant hermétiquement l'ordre établi tient difficilement la route.

Au milieu des années 70, le sociologue Maurice Pinard avait relevé et chiffré ce biais. Marcel Fournier, dans un texte de 1978 sur les «travailleurs du langage», n'hésitait pas à dire: «Quant aux intellectuels québécois, ils sont apparus, comme d'ailleurs les intellectuels de toute collectivité nationale minoritaire ou opprimée, rapidement nationalistes et ont participé activement à la constitution d'une identité nationale». Et il rappelle que c'est aussi le cas des enseignants des «niveaux élémentaire, secondaire, collégial et universitaire, les chercheurs, en particulier les spécialistes en sciences humaines et sociales».

Évidemment, aujourd'hui, comme dans le reste de la population, l'attachement partisan n'est plus de mise. L'esprit critique à l'endroit de l'ordre établi continue néanmoins de traverser l'intelligentsia. Lors de la crise étudiante, n'a-t-on pas vu plusieurs artistes, enseignants et groupes du milieu culturel adhérer fermement à la cause du carré rouge? Ils ne forment pas un bloc homogène, mais on peut difficilement les considérer comme des «intellectuels organiques» du grand capital.

Le Québec n'est pas seul. En France, une enquête de 2012 dévoile que 74% des journalistes sont de gauche. Aussi, à plus de 90%, ils estiment avoir les coudées franches pour faire leur boulot. L'éditorialiste de la revue Médias pose la question qui tue: «Quand des journalistes veulent bien concéder qu'ils balancent plutôt pour un côté, ils affirment simultanément que cela n'a pas de conséquence sur leur traitement de l'actualité. Qui peut croire à ce vertueux dédoublement?»

Ce biais à gauche n'hypothèque par le professionnalisme des journalistes. À la marge cependant, leurs opinions définissent un angle, colorent un reportage. Ce biais oriente le choix des mots et des titres. Et puisque la chose publique - partis, budgets, projets de loi, personnalités - est presque toujours médiatisée par une caméra, la plume d'un journaliste ou le choix d'un chef de pupitre, il faut déduire que les partis de centre ou de droite - et qui sont fédéralistes - ont généralement un défi communicationnel supplémentaire.

Qu'ils le reconnaissent ou non, les médias, et plus largement les intellectuels, sont des acteurs du système politique. Ils agissent bel et bien comme le quatrième pouvoir, celui de l'influence. Le résultat de leur travail ne tranche évidemment pas comme un décret, une loi ou un jugement, mais il contribue à transformer le réel. En ce début de campagne, on aurait tort de l'oublier.