Oui, en 2023, les lacs peuvent encore servir de poubelles.
La miniĂšre Minerai de fer QuĂ©bec, propriĂ©tĂ© de lâaustralienne Champion Iron, veut doubler la production de la mine du lac Bloom, prĂšs de Fermont dans le nord du QuĂ©bec, et lâexploiter jusquâen 2040. Pour ce faire, elle doit augmenter considĂ©rablement sa capacitĂ© dâentreposage de divers rĂ©sidus.
GrĂące Ă ce projet, prĂšs de 1000 travailleurs gagneront leur vie au lac Bloom. Câest lâargument massue de lâentreprise, mĂȘme si une bonne partie des travailleurs feront du navettage. Les communautĂ©s locales, dont le conseil de bande innu de Uashat Mak Mani-utenam, sont favorables au projet. MĂȘme les environnementalistes ne sây opposent pas. Ce qui pose problĂšme, câest la technique dâentreposage.
En effet, la solution retenue par lâentreprise pour lâentreposage des rĂ©sidus provoquerait la destruction de huit lacs (dont un de 88 hectares), de petits cours dâeau et de milieux humides, soit au total 235 hectares.
Vous avez bien lu : on creuse une mine et on propose de remplir des lacs avec les rĂ©sidus quâelle produit.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE
La trace de déchets miniers datant de plus de 40 ans est toujours visible prÚs de la ville de Gagnon.
En 2021, dans un rapport trĂšs sĂ©vĂšre, le Bureau dâaudience publique sur lâenvironnement (BAPE) sâest opposĂ© Ă cette utilisation des lacs et des milieux humides comme lieux dâentreposageâ 1. En mars 2022, malgrĂ© lâopposition du BAPE, le gouvernement du QuĂ©bec a autorisĂ© le projetâ 2. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral vient juste de terminer ses propres consultations, la balle est maintenant dans son camp. Il devrait donner, ou pas, son autorisation cet automne.
Le rapport du BAPE souligne trois enjeux auxquels le fĂ©dĂ©ral devrait sâintĂ©resser.
Premier enjeu
On comprend, dans le rapport du BAPE, que lâentreprise sâest donnĂ© des critĂšres tellement stricts pour lâĂ©valuation des solutions de rechange quâelle ne pouvait que conclure Ă la nĂ©cessitĂ© de dĂ©truire les lacs et les milieux humides limitrophes au projet. Par exemple, elle excluait des solutions comme lâentreposage en surface Ă plus de 10 km de la mine, lâutilisation dâune technique appelĂ©e « codisposition » ou encore la possibilitĂ© dâutiliser des aires dĂ©jĂ occupĂ©es par dâautres rejets. La miniĂšre aurait Ă©cartĂ© ces options « sans justification adĂ©quate », et ce, mĂȘme si, selon le BAPE, lâĂ©chĂ©ancier des travaux lui donnerait suffisamment de temps pour quâelle mĂšne les Ă©tudes additionnelles nĂ©cessaires Ă la rĂ©vision des solutions de rechange.
Bref, elle nâa pas fait de grands efforts pour trouver une solution de rechange Ă la destruction des lacs et des zones humides.
DeuxiĂšme enjeu
Lâentreprise affirme quâil y aurait encore du minerai exploitable aprĂšs 2040, quâil faut donc laisser 100 % de la fosse ouverte pour pouvoir Ă©ventuellement y accĂ©der. Cela se tient, sauf que lâentreprise ne prouve ni la premiĂšre affirmation (que le minerai prĂ©sent sous la fosse serait exploitable) ni la seconde (quâil faut laisser 100 % de la fosse ouverte pour le faire). Lâenjeu est majeur, car sâil est possible de combler la fosse, mĂȘme en partie, le problĂšme dâentreposage nâest plus le mĂȘme. Je reformule donc la position de lâentreprise : nous dĂ©truirons huit lacs, « au cas oĂč ».
TroisiĂšme enjeu
Je vous amĂšne maintenant au dernier paragraphe du rapport du BAPE : « LâexpĂ©rience du projet du lac Bloom nous montre quâil y a lieu dâavoir une approche plus prospective du dĂ©veloppement minier afin dâanticiper en amont les problĂšmes liĂ©s au dĂ©veloppement dâun bail minier. Dans ce contexte, lâinitiateur dâun projet minier devrait fournir une vision Ă long terme du dĂ©veloppement de son bail minier afin de mieux anticiper les divers enjeux Ă©cologiques, sociaux et Ă©conomiques liĂ©s Ă sa stratĂ©gie dâexploitation. »
Je reformule : câest un projet immense et il nây a pas de planification complĂšte Ă long terme ! On creuse une mine qui sera exploitĂ©e durant des dĂ©cennies, on cherche des moyens dâentreposer 1,3 milliard de tonnes, oui, 1,3 milliard de tonnes de rĂ©sidus⊠sans analyser les consĂ©quences de tout cela Ă long terme ! Je reformule encore : « Coudonc, est-ce quâon est encore XIXe siĂšcle ??? »
Tout le projet dâentreposage tel quâil est prĂ©sentĂ© par lâentreprise coĂ»te 50 millions de dollars. Vous croyez que câest beaucoup ? Selon Radio-Canada, les revenus gĂ©nĂ©rĂ©s grĂące Ă la mine du lac Bloom sont passĂ©s de 785 millions de dollars en 2020 Ă plus de 1,2 milliard en 2021 pour un bĂ©nĂ©fice net record de 464 millions cette annĂ©e-lĂ â 3. Il me semble quâil y a de la marge pour respecter lâenvironnement tout en restant rentable.
La miniĂšre propriĂ©taire de la mine du lac Bloom verse, Ă elle seule, 27,7 % des toutes les redevances des mines du QuĂ©bec, soit 130,6 millions de dollars. Je me retiens de penser quâil y a un lien entre ce montant et la complaisance dont le gouvernement du QuĂ©bec fait preuve.
Bref, le gouvernement fĂ©dĂ©ral devrait exiger que lâentreprise refasse ses devoirs, elle en a le temps et les moyens.
Le gouvernement du QuĂ©bec tient actuellement une consultation sur le « dĂ©veloppement harmonieux de lâactivitĂ© miniĂšre », sondage en ligne et mĂ©moires. Je vous invite Ă y participer.