Le 21 avril dernier marquait le septième anniversaire de la mort de l’artiste Prince.

En pensant à lui, ce jour-là, je me suis dit qu’il serait bien déçu de nous. Quel gâchis nous avons fait de ce monde, depuis son départ – lui qui avait tant fait pour le rendre meilleur. Notamment, je crois que Prince trouverait très étrange toute l’attention que nous accordons à Elon Musk. Il serait aussi certainement surpris de voir les reculs dans son pays, entre autres en matière de justice reproductive, et ceux concernant le contrôle des armes à feu. Comment ferait-on pour lui expliquer ce qui s’est passé à l’école primaire à Uvalde, au supermarché de Buffalo ou à la synagogue de Pittsburgh ?

Sa Majesté était un grand fan de sports. Originaire de Minneapolis, Prince était bien servi puisque la ville est représentée dans les grandes ligues professionnelles de football (les Vikings), de baseball (les Twins), de hockey (le Wild), et surtout, de basketball.

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Prince, en 2006

C’est un sport qu’il aimait particulièrement et lors de la diffusion de matchs à domicile, on pouvait souvent l’apercevoir aux premières loges à applaudir les Timberwolves. D’ailleurs, dans les années 1990, il faisait partie d’un groupe d’investisseurs ayant fait une offre, non retenue, pour acheter l’équipe.

Le journaliste Jeff Benedict a tout récemment publié LeBron. Je crois que Prince aurait adoré ce livre, qui se retrouve déjà sur la liste des meilleurs vendeurs du New York Times et qui consacre près de 500 pages à LeBron James, star de la NBA et des Lakers de Los Angeles.

Il aurait été facile pour l’auteur de n’écrire que sur les prouesses de l’athlète, lui qui épate depuis qu’il est au secondaire et qui, en 20 ans dans la NBA, a fracassé toutes sortes de records.

À la place, Jeff Benedict dédie une importante partie du livre au comment et au pourquoi de l’influence de LeBron James, au-delà de celle qu’il exerce sur les terrains de basket.

L’influence de LeBron James se définit surtout par les causes pour lesquelles il milite, comme l’accès équitable à une bonne éducation primaire. Son legs inclura l’école I Promise, qu’il a fondée et qui a ouvert ses portes en 2018, dans sa ville natale de Akron en Ohio.

C’est en faisant un jour une recherche sur l’alarmant taux de décrochage dans son ancien district scolaire que le géant de 6 pieds et 8,5 pouces (2 m 7) a compris combien sa communauté était desservie. Seulement cinq ans plus tard, I Promise est déjà un succès. D’autres célébrités ont évidemment déjà fondé des écoles, mais celle de LeBron James est différente. Notamment, elle est publique.

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L’école I Promise, fondée et financée par LeBron James

Comme pour son idole, le grand Michael Jordan, l’éveil social de LeBron James s’est fait plus tardivement qu’espéraient plusieurs fans et observateurs. La barre était haute et elle avait été établie par d’autres géants du monde du sport, comme les Muhammad Ali, Billie Jean King, et Kareem Abdul-Jabbar, l’éternel Laker.

Pékin, 2008.

Les Jeux olympiques d’été de 2008 ont eu lieu à Pékin. Et, comme ceux d’hiver l’année dernière, le choix d’avoir la Chine comme pays hôte était problématique. Membre de l’équipe nationale américaine de basketball, LeBron James était un des athlètes les plus populaires des Jeux et celui à la plus grande portée, surtout dans un pays qui comptait déjà 300 millions de fans de basketball et qui représentait un marché important pour la NBA et pour l’équipementier avec qui James avait un contrat évalué, à l’époque, à près de 100 millions de dollars américains.

C’est peut-être pour cela qu’il avait refusé de signer une lettre initiée par un de ses coéquipiers et qui dénonçait l’implication de la Chine dans le génocide au Darfour. C’est un refus qui est devenu une controverse et le goût amer qu’elle a laissé a été un point tournant pour LeBron James.

Peu de temps après ces Jeux de la XXIXe olympiade, LeBron James a appuyé et rejoint la campagne présidentielle de Barack Obama. Il a gardé une proximité avec celui qui deviendra président pendant ses huit ans à la Maison-Blanche. Elle lui a permis de s’éduquer et de mieux comprendre les enjeux. Mais surtout, elle permettra à LeBron James de saisir la responsabilité sociale qui vient avec son influence. Depuis, ses implications ont été nombreuses et à l’échelle nationale aux États-Unis.

L’année dernière, selon le magazine Forbes qui tient ce genre de registre, LeBron James a atteint le cap du 1 milliard de dollars en avoirs – ce qui fait de lui le premier joueur toujours actif dans la NBA à devenir milliardaire. Ce n’est pas les 82 matchs des saisons régulières qui expliquent cette fortune. LeBron a le flair. Il a su brillamment diversifier ses investissements et choisir avec qui s’associer.

Je suis outrée par les salaires insuffisants réservés aux professeurs et aux infirmières. Mais je ne le suis pas particulièrement par les salaires et revenus astronomiques des athlètes. Ces derniers font partie d’un écosystème très rentable et ils méritent une généreuse pointe de ce très gros gâteau auquel ils ont contribué. Crémage inclus.

Faire de l’argent et faire le bien ne sont pas mutuellement exclusifs. Les visages de la philanthropie et de l’implication sociale changent et leurs effets aussi. La différence entre les Muhammad Ali, Billie Jean King, Kareem Abdul-Jabbar et les LeBron et autres athlètes d’aujourd’hui, dont les contrats ne cessent de créer des précédents, est l’argent. Et plus on en a, plus il est facile de faire bouger les choses.

LeBron James est une inspiration pour plusieurs athlètes. Il y a ses quatre bagues de championnat, bien sûr. Mais ils sont plusieurs à être tout aussi inspirés par son militantisme. Je pense à Bennedict Mathurin, une fierté made in Québec, qui évolue de manière impressionnante dans la NBA depuis seulement un an. Et pourtant, déjà, Mathurin s’est joint à son équipementier pour faire un don important à Adélard-Desrosiers, son ancienne école primaire située à Montréal-Nord.

Ces athlètes sont aussi fondateurs et PDG des entreprises qui gèrent leurs avoirs et ils représentent une nouvelle élite d’affaires parfaitement capable de faire coexister implication sociale et profit. Aussi, ils ne se limitent plus aux manifs et aux séances avec les élus. Ils s’associent aux grandes corporations en ne leur donnant pas le choix de les accompagner dans leurs missions caritatives. Ces générations qui ont grandi à l’ère des messageries instantanées et des livraisons de bouffe disponibles 24 heures par jour n’ont plus nécessairement la patience pour l’inefficacité et la lenteur qui définissent trop souvent les actions politiques.

Notre monde nous confronte à de nombreuses incongruités et nous en sommes responsables. Malgré cela, tous les athlètes n’ont ni à être militants ni à épouser une cause. Pour les autres, ces nouveaux leaders qui transcendent leur sport respectif ont tracé une voie pour faire les choses différemment. La quête de solutions peut être complexe, mais pour ces doués, aux habiletés physiques presque surhumaines, un bon baromètre est de se demander que feraient LeBron et Bennedict ? Et, qu’en penserait Prince ? Ce sont des références que je trouve rassurantes.