La Coupe du monde au Qatar se résume à bien plus qu’une célébration du sport le plus populaire sur la planète. Il s’agit aussi du retour des grands rendez-vous qui nous ont échappé depuis février 2020. Les Jeux olympiques de Tokyo (2021) et de Pékin (2022) se sont déroulés à l’intérieur de cadres sanitaires rigides qui décourageaient la présence de spectateurs ou l’interdisaient tout simplement. Depuis novembre, on observe une fébrilité à Doha avec ces fans de foot venus de partout pour fêter.

Le ciel s’était toutefois considérablement assombri dans les mois précédant le coup d’envoi. Les médias avaient fait rejaillir les circonstances nébuleuses de l’attribution de l’évènement au Qatar, tout comme les conditions de travail précaires des employés étrangers appelés à construire les ouvrages nécessaires à la tenue de la Coupe du monde. Les images de travaux inachevés à quelques heures du premier match laissaient aussi transpirer une certaine incompétence.

La transformation d’une économie basée sur la pêche traditionnelle (et celle d’huîtres perlières) à l’exploitation de vastes réserves de gaz naturel s’est opérée rapidement au Qatar. Les fruits de l’exportation de gaz naturel liquéfié ont financé les infrastructures – notamment de nombreux stades de foot et un métro – dont il s’est doté en prévision de la Coupe du monde. Ces exportations, faut-il le rappeler, qui contribuent à chauffer et éclairer une partie de l’Europe pendant qu’un despote s’attaque à l’Ukraine.

Bien que certaines critiques aient été entièrement légitimes – notamment sur les droits des communautés LGBTQ+ – d’autres masquaient mal une condescendance de l’Occident face à un pays arabe qui avait osé dépenser une fortune pour organiser une fête autour d’un sport auquel il n’excelle pas. Pour en rajouter, un pays avec une population très modeste et un territoire plus petit que la péninsule gaspésienne.

L’absence d’alcool dans les stades avait aussi provoqué une avalanche de commentaires lourds de préjugés. Comme si un pays musulman devait mettre sur la touche ses mœurs face à l’alcool pour s’adapter aux pratiques d’ailleurs. Ayant assisté au match Angleterre-pays de Galles, je suis convaincu que cette mesure m’a épargné plusieurs incidents fâcheux.

La Fédération internationale de football – tout comme le Comité olympique international – n’agit pas toujours avec transparence. L’opacité entourant le choix du site pour une Coupe du monde alimente souvent la machine à rumeurs. Pour certains, une liste de pays infâmes devrait exister pour garantir qu’ils ne pourraient profiter d’une vitrine pour accréditer un régime politique quelconque. Mais quels critères appliquerions-nous pour les mettre au ban ? Et qui chapeauterait la liste des « méchants » ?

Je sais que plusieurs pays se porteraient volontaires pour agir en gendarme. Comme les trois qui accueilleront la prochaine Coupe du monde en 2026. Pourtant, les États-Unis, le Mexique et le Canada sont-ils irréprochables ?

Le traitement des minorités visibles (surtout afro-américaines) aux États-Unis continue de choquer. Entre Rosa Parks et George Floyd peut-on réellement parler de progrès ? Et que dire de tous ces États qui ont fait reculer les droits des femmes dans la foulée du renversement de Roe c. Wade ? Le taux d’homicide par 100 000 habitants au Mexique est l’un des plus élevés sur la planète. Les narcotrafiquants et autres criminels opèrent dans un univers où, semble-t-il, la reddition de comptes est optionnelle.

Au Canada, la honte nous gagne chaque fois qu’il est question des pensionnats pour Autochtones. Et quelles leçons pouvons-nous offrir aux Qataris sur les droits des travailleurs à la lumière du triste sort réservé aux immigrants chinois appelés à construire le chemin de fer au Canada ?

En suivant la logique des nombreux « purs » demandant de boycotter le Qatar, il ne faudrait plus remettre les pieds à Pompano ou Fort Lauderdale, non plus à Cancún ou à Puerto Vallarta. Le chemin de fer aussi devrait logiquement se trouver sur une liste noire – dois-je préciser les répercussions pour notre économie ? Imaginez aussi l’impact sur l’unité canadienne si nos aînés avaient aussi joué le jeu des « purs » – Jacques Parizeau n’aurait jamais pris le train pour aller à Banff en octobre 1967 et ainsi jamais basculé dans le camp souverainiste !

Si la topographie (et l’audace d’une génération d’ingénieurs) ne nous avait pas tant gâtés avec de l’énergie renouvelable et que nous étions plutôt assis sur des réserves incommensurables de gaz naturel, pourrions-nous affirmer sans l’ombre d’un doute que nous n’aurions pas nous aussi souhaités tenir la Coupe du monde au Québec et construire des stades à Montréal et à Montmagny ? La Coupe du monde a été tenue pour la première fois au Moyen-Orient, ce qui a permis à une nation arabe de briller. Elle avait autant le droit d’accueillir la Coupe du monde en 2022 que Montréal les Jeux olympiques en 1976.