Samedi matin à la boulangerie, des trentenaires venaient chercher leurs chocolatines en anorak Quartz, casquette Ciele, sur un bas de pyjama ostentatoire en flanelle. Pas en jogging : en pyj ! Je me dis que c’est samedi, le saut du lit.

Jeudi après-midi au Provigo, je croise un propriétaire de pyjama à carreaux en manteau de ville. La même semaine, j’apprends que les élèves d’une école secondaire font la même chose, au grand dam des autorités scolaires. Depuis, je vois des pyjamas fatigués partout. À carreaux, à licornes, à petits animaux. Bientôt apparaîtront ceux de Noël !

Le bas de pyjama en public est donc normalisé, entré dans les mœurs en 2022. Ce vêtement de nuit vit son triomphe au grand jour, mou et fier de l’être. La chose est entendue : après deux ans de pandémie et des confinements, le pyjama public serait ni plus ni moins qu’une séquelle. Vingt-quatre mois de cocooning, de Zooms en joggings informes et de Teams en mou, ça donne le pli. Nous avons embrassé des vêtements hyper confortables, nous sommes avachis dans des sectionnées moelleux, nos pieds se sont abandonnés aux Crocs et aux UGG, nos maisons se sont muées en refuges ; on s’y fait livrer bouffe, colis, médicaments, travail par l’entremise des plateformes.

Bien installés dans nos intérieurs, le corps lové dans du coton souple, nous nous sommes gavés de séries Netflix, nos cerveaux ont tellement accueilli le mou environnant qu’ils se sont mis à penser mollement.

La bienveillance était le mot d’ordre. Nous émergeons maintenant, un peu ébahis, plus marqués qu’on ne le pensait. Les semelles plates et les bas de pyjamas ne sont que les symptômes les plus visibles à l’œil nu.

Il faut dire que cette attitude corporelle – et intellectuelle – est tombée en terrain favorable. Nous sommes tolérants et gentils. Le Québec est généralement consensuel. Les angles de nos rapports sociaux sont arrondis. On y parle un français moins pointu qu’en France. Nous préférons l’accommodement à l’affrontement. Notre filet social accueillant amortit les coups durs du destin. Politiquement, nous avons réélu la CAQ, un parti d’extrême centre.

Le monde extérieur est de plus en plus hostile : guerre en Ukraine, réchauffement climatique anxiogène, COVID-19 qui rôde toujours. Même chez nous, les fractures sociales se creusent, des camps aux positions tranchantes s’opposent à gauche comme à droite, s’invectivent et se cancellent.

Les temps sont incertains. La posture la plus partagée est celle qui consiste à aller se tapir au fond d’une grotte douillette, de se recroqueviller ; et si on sort dans le menaçant monde extérieur, le faire armé de sa carapace de mou : le bas de pyj…

La douceur est notre refuge ultime et nous tapissons nos murs de ouate. Tricoter n’a jamais été si populaire depuis longtemps. Les livres de cuisine et des arts de la table font recette. Nous fêterons Noël dans des décors chaleureux, on ira à des concerts aux chandelles et même nos vêtements chics seront amples et souples.

Certains militent pour le retour du vêtement structuré, du costume et du tailleur. Ils soutiennent qu’une tenue qui se tient oblige à une pensée claire. Ce qui n’est pas faux. La tenue tient le corps, le talon haut est une offensive, le cap d’acier installe un rapport de force. Le vêtement qui a du corps a aussi de la pensée. Voyez les Français ; leurs vêtements et leurs phrases qui claquent… Nous aussi, un moment donné, nous émergerons de notre torpeur et affronterons le monde hostile dans de beaux habits, les épaules droites et le pas assuré. Il y aura des formes claires, des tissus secs et craquants, des paroles plus mordantes, des débats de société qui se tiennent. Mais pour le moment, nous sommes encore un peu moralement affaissés, un peu plus mous qu’à notre état naturel. Nous avons craint pour nous et nos proches. Nous sommes encore farouches et craintifs. Un jour, nous quitterons nos pyjamas, mais pas encore.

Lorsque nous serons prêts à muer, j’espère que nous troquerons le mou pour le doux. Car c’est ce que nous sommes, nous, les Québécois, au plus profond de nous. Notre douceur est une qualité précieuse, une force tranquille. Nous pensons ample et vaste. Le pyjama informe passera, mais le jogging et la maille douce resteront. Tant mieux. Car si le mou est un renoncement, le doux est accueillant. Restons souples, c’est notre force.