Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Gary Hart, qui célèbre ses 85 ans. C’est un de mes politiciens préférés. En 1987, cet ancien sénateur du Colorado était un des candidats pour mener le Parti démocrate à la présidentielle américaine, l’année suivante.

Son discours annonçant qu’il se lançait dans la course est une archive à revoir. Alors âgé de 50 ans, il représentait une nouvelle génération à Washington. Visionnaire, Gary Hart parlait déjà des menaces du terrorisme, des dangers du financement politique non contrôlé et de ceux qui allaient certainement délaisser Détroit pour la Silicon Valley. Ces idéaux permettaient l’espoir et ils étaient nourris par une quête d’opportunités pour tous.

Tous les sondages le plaçaient en tête devant les autres candidats démocrates et surtout, devant George H. W. Bush qui, après huit ans comme vice-président, souhaitait enfin devenir Commander in Chief.

Toujours en couple en 1987 et jusqu’à l’année dernière lors de la mort de son épouse, Gary et Lee Hart avaient eu, auparavant, deux séparations. C’était assez connu pour que Gary Hart puisse, au grand jour, être accompagné de compagnes lors d’évènements mondains de Washington. Comme d’autres politiciens avant lui, il n’était pas à l’abri de rumeurs et s’était alors mérité une réputation de godelureau.

Très peu de temps après sa mise en candidature, le Miami Herald publiait un portrait du candidat-vedette suggérant, en titre, une possible relation avec une résidante de la Floride. Quelques jours plus tard, le tabloïd The National Enquirer avait en une la photo de cette jeune femme, Donna Rice, assise sur les genoux de Gary Hart alors que les deux étaient sur un bateau nommé Monkey Business. C’est devenu un cliché emblématique du politicien déchu.

Ce fut le début d’un cirque médiatique et le journalisme politique américain venait de changer à jamais.

Lors d’un point de presse, après les articles du Herald et de l’Inquirer, un journaliste a demandé à Gary Hart s’il avait déjà été infidèle. Quelle idée de poser une telle question ? Ce qui se passe entre deux adultes consentants ne concerne pas les électeurs. Mais le vent avait tourné et la vie privée des politiciens était devenue, hélas, fair game.

Par conséquent, 35 ans plus tard, les effets de ce virage font encore des ravages en politique et ailleurs. Les attentes envers les personnalités publiques dépassent souvent l’entendement. On leur demande la perfection comme si c’était la qualité nécessaire pour réussir. Et on se retrouve avec le passage presque obligatoire de la biographie — souvent insipide — de futurs candidats nous dévoilant, à leur manière, des écarts du passé pour contrôler le plus possible l’histoire qui pourrait les faire couler.

Encore faut-il qu’ils soient assez courageux pour se lancer dans la course, malgré ce genre d’ingérence dans leur vie privée, qui est maintenant permise.

Et les électeurs, d’ici et d’ailleurs, devront se faire à l’idée qu’un très bon époux peut faire un très mauvais politicien et que l’inverse est aussi possible. Idem pour les candidates.

En colère contre ce type d’intrusion, Gary Hart prévenait qu’un jour, les Américains se retrouveraient avec les politiciens qu’ils méritent.

Hart a quitté la course à l’investiture démocrate. Il savait bien qu’aucun journaliste n’allait vouloir parler de ses idées de réformes fiscales ou celles sur l’équité et la justice sociale. En annonçant son retrait, Gary mettait en garde contre un nouveau journalisme qui allait faire des médias des chasseurs et des candidats, des proies.

Aujourd’hui, la couverture médiatique de la politique américaine frôle souvent celle réservée au divertissement. C’est un glissement toxique. On parle de candidats et de candidates comme on parle de Jennifer Lopez, elle qui a fait de sa vie privée un modèle d’affaires rentable. La formule de la chanteuse, tantôt actrice et entrepreneure, est simple : du premier rendez-vous avec le nouveau prétendant à la nouvelle bague au doigt, en passant par l’achat d’une nouvelle maison et la cérémonie de mariage, JLo s’assure une visibilité constante dans les médias. Et c’est son choix. Mais les candidats, eux, n’ont plus l’option de la discrétion.

Gary Hart n’a jamais confirmé ou nié avoir eu une relation intime avec Donna Rice. Plus tard, nous apprendrons — à la suite de reportages en 2014 puis en 2018 — que l’affaire Monkey Business avait été un coup monté par le féroce stratège républicain Lee Atwater et Dana Weems, une connaissance de Hart, qui était aussi sur le bateau. « Je regrette d’avoir ruiné sa vie. J’étais jeune et je ne savais pas que la suite allait se passer ainsi », dira Dana Weems à une journaliste du New York Times.

Compte tenu de l’influence de la politique américaine sur le Canada, nous sommes tout à fait concernés par ce genre de journalisme qui a aussi comme effet d’éliminer le concours politique de gens qui ont le service public à cœur, la compétence et les idées pour faire avancer les choses, mais qui ne sont peut-être pas dotés de reins assez solides pour voir le pire moment de leur vie devenir l’épicentre de la conversation à leur sujet. Gary Hart rappelait un autre principe de grande importance : « le caractère se juge sur toute une vie, pas sur un moment ».

Malgré tout et pour l’instant, je suis rassurée de voir qu’au Québec, le presse politique ne soit pas tombée dans la pratique d’exposer les vies intimes de nos candidats et élus, et ce, malgré une florissante industrie de tabloïds. Et je ne crois pas que nous, électeurs, l’accepterions. Tiens, voilà une autre chose que nous faisons mieux que les autres.

Rectificatif
Dans une version précédente du texte, Gary Hart était qualifié de boomer. Or, le politicien américain est né en 1936.