On fait pas rien que de la marde ! On en fait un peu, mais pas rien’q !
D’où émane ce langage affecté ? Du théâtre Le Diamant, à Québec, qui définit sa mission comme ceci : de la lutte à l’opéra.
En fait, ces paroles cérémonieuses sont le fait de deux personnes, qui se tapent dans les mains après une première réussie ou quand un spectacle fonctionne à plein ?
Lui, c’est Robert Lepage, l’artiste reconnu internationalement. Elle, c’est Lynda Beaulieu, sa sœur, la reine mère pour les intimes. Des jumeaux, mais avec 14 mois de différence.
Depuis 25 ans avec son frère, la mission de Lynda est de s’occuper de l’intendance, pour laisser le créateur œuvrer en toute quiétude.
La Diamant est l’œuvre de Robert, mais construit par Lynda, qui le veille, comme elle veille sur son frangin.
Après des années-lumière passées ailleurs – la compagnie Westburne –, Lynda est arrivée dans un monde moins ordonné, plus organique – la culture – auquel elle a ajouté sa teinte, disons. Les réunions d’équipe avec les pieds sur la table de conférence, c’est terminé : « J’veux pas voir tes pieds, j’veux voir ta face ! »
Le camp de base de Robert a toujours été Québec, bien qu’il parcoure sans arrêt la planète, dans une course folle. Six pays dans les trois derniers mois !
Si vous êtes surpris des paroles étudiées du début, c’est que vous ne connaissez pas la face cachée de Robert Lepage, pour le paraphraser lui-même. Au premier regard, l’homme fait farouche, un peu frigo.
Mais la face cachée, elle, dévoile éventuellement un humain qui se souvient d’où il vient, et qui n’est pas si difficile à percer finalement.
Avec sa pièce 887, il a expliqué son enfance et décrit sa famille. Courville le met en scène, adolescent, et La face cachée de la lune, jeune adulte. La première pièce tourne dans le monde depuis sept ans ; La face cachée depuis 22 ans ; et Courville depuis septembre dernier. Quand on parle de succès planétaires…
Parents de la basse-ville. Pas élevés dans le trèfle. Le père, chauffeur de taxi, ancien membre de la marine, comme la mère, enrôlée et rencontrée au retour de la Seconde Guerre mondiale.
Lynda et Robert font équipe depuis longtemps. Même à l’école, quand elle allait au front lorsque les enfants brassaient Robert, se moquant de sa différence. Entre eux, l’amour est inconditionnel, mais no bullshit, même si le troubadour de la famille serait un brin orgueilleux. Si ce qu’elle voit sur les planches n’est pas au goût de la cadette, la sentence sortira drue. Mais la rancœur n’existe pas.
Le Robert qu’on ne connaît pas, celui du quotidien, a acquis la maison de sa tante Jeanne, la seule des neuf enfants de la famille qui n’a pas vécu toute sa vie à loyer. Bien mariée, la Jeanne, elle avait bien frappé. Robert et Lynda y passaient du temps, durant l’été et les Fêtes. Sur le bord de la rivière Saint-Charles, toujours dans la capitale nationale, Robert y vit en harmonie avec son passé.
La majorité de ses amis ne viennent pas du milieu culturel, pas jet-set une miette. Très famille, même à l’autre bout du monde, il appellera parce qu’inquiet de la santé d’une nièce. Discrètement, il aidera financièrement un jeune cascadeur qui débute, ou un nouveau lanceur de haches qui rêve de cirque !
Bon, l’opéra, ça va, on comprend, mais la lutte ?
C’est que voyez-vous, chez les Lepage, à l’époque, on écoutait la lutte à la télé en fratrie. Une religion, comme pour bien des familles québécoises. Édouard Carpentier était le préféré, Killer Kowalski le plus impressionnant, et le Géant Ferré le moins aimé. La grand-mère, atteinte de démence, avait souvent peur, elle, que les protagonistes entrent dans l’appartement. Compliqué d’expliquer à la mémé que c’était sans danger au 887.
Pour Robert, la lutte, une réminiscence, est devenue un art.
Il a repéré des fous de ce sport spectacle, et gentiment fêlés, qui en font leur principal loisir. On parle ici de la North Shore Pro Wrestling (NSPW), rien que ça ! Robert les a rapatriés au Diamant pour quelques galas par année. Chaque fois à guichets fermés, et ça donne des soirées complètement déjantées, et délirantes.
La clientèle autour du ring, classique : les connaisseurs, crinqués et extatiques, qui font partie du scénario. Mais autrement, dans la salle, beaucoup des geeks à calotte et autres clients de la société civile. Et ça embarque complètement, vous ne croiriez pas ça, un méchant party.
Les lutteurs sont devenus des amis de Robert. On est loin du Met, à New York, où il a souvent dirigé des mises en scène. Des noms d’artistes comme Falco, Angel, mais Québécois travaillant dans la construction, ou propriétaires de viennoiserie – oui, vous avez bien lu – ou microbrasserie.
Avec une étoile, Marko Estrada, agent correctionnel dans une prison à Québec. Paraît-il que ça se tient tranquille sur son chiffre, ça fait gaffe dans la wing. Je les comprends, un baraqué, toé chose ! Mais ne cherchez pas d’Estrada d’où il vient, Le Goulet au Nouveau-Brunswick, il n’y a que des Roussel. Un brillant, qui trippe sur son parascolaire depuis 20 ans. Son corps s’use, mais il pallie avec des prestations plus théâtrales. Ça fait encore mieux la job, dit-il !
Dans la programmation, la lutte côtoie Les sept branches de la rivière Ôta ; joue à Tom Waits ; NYX ; Becoming Chelsea ; Crypto ; Prince Hamlet et Moby Dick.
Et le Diamant conçoit actuellement, avec le Musée de la civilisation, une exposition sur… la lutte !
La communauté culturelle distincte, de notre société distincte, est définitivement à Québec !
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There is a God ! Pour répéter ce que me disait un ancien collègue de travail du New Jersey, après la première, et je pense la seule victoire de l’année de son équipe préférée au football américain, les Jets de New York. Je pense la même chose après les élections de mi-mandat aux USA. Ça aurait pu être tellement pire… Je deviens évangéliste, ma foi ?