C’est à cette vieille rengaine que j’ai tout de suite pensé en sortant d’une représentation de la pièce Le fils au Théâtre du Rideau Vert.

Cette pièce de Florian Zeller, jeune auteur français mondialement reconnu, est un véritable chef-d’œuvre. Elle est entre autres audacieuse parce qu’elle va complètement à contre-courant de la victimisation et de la déresponsabilisation qui ont de plus en plus cours dans les sociétés occidentales, tout particulièrement au Québec.

C’est la vie !

L’histoire est simple. Un père et une mère séparés sont confrontés au profond mal-être de leur fils adolescent, qui l’amène à se tuer presque devant eux, au moment même où ils croyaient l’avoir sauvé.

C’est tout ! Au-delà de l’interprétation remarquable des comédiens et de l’efficacité de la mise en scène, la force de cette histoire tient à sa vérité et à sa simplicité, à la fois universelles et intemporelles.

Ce qui frappe, c’est que l’on n’est placé devant aucun coupable ou responsable, qu’il n’y a pas véritablement d’explication au drame : tout le monde a fait ce qu’il pouvait pour sauver l’adolescent dont le seul reproche à son père est d’avoir quitté sa mère pour une femme dont il est tombé amoureux.

L’unique conclusion à tirer de l’affaire est que, comme disent les Français : c’est la vie ! La merveilleuse, la chienne de vie…

Ce n’est la faute ni des parents, ni de l’entourage, ni du système, ni de ce gouvernement que l’on accuse désormais de tout ce qui ne va pas dans nos vies, et dans la vie en général.

Qu’il est facile d’oublier que cette dernière est – et restera toujours – injuste, ne serait-ce que parce qu’il y a des gens qui naissent en santé et d’autres pas.

Il y a également des individus que la nature a dotés de talents véritablement exceptionnels, plus prosaïquement des gens qui sont beaux et d’autres qui ne le sont pas, ou qui le sont moins, comme on dit aujourd’hui pour n’offenser personne.

Il paraît que les bébés sourient plus spontanément aux belles personnes qui se penchent sur leurs berceaux qu’aux autres. Est-il possible d’imaginer injustice plus difficile à éradiquer que celle-là ?

Shanghai comme Saint-Rémi-d’Amherst

Les hommes comme les femmes sont soumis à l’injustice de la vie. Les Noirs comme les Blancs, les riches comme les pauvres, les gens qui ont du succès et ceux qui n’en ont pas. Les Chinois de Shanghai y goûtent, comme les Québécois de Saint-Rémi-d’Amherst.

Sans oublier les animaux, encore plus soumis que nous à l’injuste, à la terrible loi de la jungle : « Je ne suis du grand Tout qu’une faible partie : oui, mais les animaux condamnés à la vie, tous les êtres sentant nés sous la même loi, vivent dans la douleur et meurent comme moi. » (Voltaire)

Mais pourquoi parler de ces choses tristes, penseront certains, convaincus qu’il faut mettre plutôt l’accent sur ce noble et puissant idéal qu’est la quête de justice et d’égalité pour tous ? Parce que c’est un idéal, justement, et que la meilleure façon pour une société de sombrer dans le malheur est de céder à des obsessions idéologiques déconnectées de ce qu’est fondamentalement la vie.

Qu’y avait–il de plus juste et de plus beau sur papier au départ que ce communisme qui a servi de prétexte, au siècle dernier, à des psychopathes comme le Russe Staline et le Chinois Mao pour assassiner et torturer des centaines de millions de personnes ?

Indécent

Il faut en parler parce que la déresponsabilisation, la victimisation et l’infantilisation des citoyens face aux pouvoirs publics sont en train d’atteindre au Québec des sommets inégalés, franchement indécents dans une société aussi privilégiée que la nôtre à l’échelle de l’univers.

Il faut en parler parce que certains en sont rendus à inventer des super-riches à taxer qui n’existent pas dans la société la plus égalitaire du continent.

Dès qu’arrive un malheur privé – s’il est encore permis d’utiliser cette expression –, la réaction spontanée est de sombrer dans la lamentation victimaire, à la recherche d’un responsable du côté des pouvoirs publics auxquels on demande d’intervenir de toute urgence.

Le but est de nous protéger encore plus de la vie, avec la limitation toujours plus grande des espaces individuels de liberté qui en résultera.

L’une des grandeurs des sociétés occidentales – c’est moins vrai du reste du monde – est la valorisation de la justice, de l’égalité et de la sécurité pour tous. Cela ne saurait faire oublier que cette quête, dépassée une certaine limite, comporte quelque chose d’anti-vie, incompatible avec la responsabilité individuelle indissociable de la démocratie, sans oublier cette diversité et cette liberté qui font le sel de toute société civilisée.

Les Grecs anciens nous l’avaient bien dit : tout est dans la mesure et dans l’équilibre.