Je suis fan d’anniversaires. Pas seulement ceux de naissance, mais les autres aussi. Ils ne sont pas tous de grande importance, mais j’aime les souligner néanmoins. Ça ne règle aucun de nos maux sociétaux, mais si un jour je devais participer à l’émission Jeopardy! et qu’il y avait la catégorie « anniversaires », elle m’éviterait un désastre total et me permettrait de perdre avec au moins un peu de dignité.

2022 aura été une année de jubilés et d’autres grandes dates. Trente ans depuis que Johnny Carson a tiré sa révérence de l’émission The Tonight Show. 40, depuis la sortie de l’album Thriller de Michael Jackson. Mon grand-père Maurice aurait célébré son 100e anniversaire et mon ami Olivier, lui, son 60e. Requiescat in pace.

Il y a 50 ans, en 1972, alors que Michel Désautels commençait sa carrière à Radio-Canada, que l’album Talking Book de Stevie Wonder bouleversait les mélomanes et que les Dolphins — l’équipe de football de Miami — jouaient une saison parfaite, sans défaites, les premiers boat people haïtiens arrivaient sur les rives de cette ville de la Floride. C’était le 12 décembre.

Des compatriotes avaient déjà commencé à s’installer, depuis au moins 10 ans, dans l’État et ailleurs aux États-Unis, au Canada, en Europe et en Afrique. Mais ils étaient arrivés en avion, très souvent armés de visas, de carnets bancaires et de diplômes.

Les boat people, eux, avaient fui par la mer sur des embarcations de fortune, les poches souvent vides. Malgré tout, leurs rêves étaient les mêmes.

Commencer une nouvelle vie, libre et loin de la dictature. Travailler et bâtir un héritage pour la famille qu’ils souhaitaient fonder ou agrandir, tout en s’occupant des membres de celle laissée derrière.

Sauf que les boat people étaient souvent interceptés, vilipendés et retournés en Haïti, ou plus tard, envoyés au centre de détention à Guantanamo Bay, et ce, malgré la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, adoptée par les Nations unies. Cette dernière stipule qu’un réfugié ne devrait pas être renvoyé dans un pays où « sa vie ou sa liberté sont gravement menacées ».

Je ne connais pas la douleur d’un déracinement, mais je l’imagine atroce et intolérable. Je n’arriverais jamais à mesurer le courage nécessaire pour mettre sa vie dans un baluchon, tout risquer et quitter pour une terre complètement inconnue en utilisant des voies dangereuses, mais je sais que je n’en ai pas le centième.

La volonté qui apaise cette douleur, même minimalement, et qui nourrit ce courage est celle de vouloir mieux. C’est honorable.

Malgré tout, collectivement, n’avons-nous pas trop toléré le mépris envers ceux qui osent ? Avons-nous assez dénoncé ceux qui ont fait d’eux des cibles ? Tous nos partis comparent leurs politiques d’immigration en utilisant le mot quota, sans gêne, pour parler d’humains comme on parle de bétail.

Il y a un an, presque jour pour jour, les images d’agents frontaliers — armés et à cheval —, pourchassant des migrants haïtiens essayant de traverser du Mexique au Texas, ont choqué.

Différent, certes, mais de faire des boucs émissaires des migrants traversant le chemin Roxham, au long de la frontière canado-américaine et pour venir au Canada, n’est pas mieux. Et pourtant.

De Kanye West à Ken Burns

Depuis le mois de septembre et à point nommé, The U.S. and the Holocaust1 est disponible sur PBS. Cet excellent documentaire, signé par Ken Burns, Sarah Botstein et Lynn Novick, chronique la réponse américaine face aux conséquences dévastatrices de la montée du nazisme en Europe dans les années 1930.

Une époque bien sombre alors que, notamment, aux États-Unis — comme au Canada — le sentiment anti-juif était bien présent et que les deux pays avaient refusé l’entrée à des réfugiés juifs arrivés sur le paquebot MS Saint Louis et fuyant la persécution du régime nazi de l’Allemagne de l’époque.

Ce mois-ci, l’artiste Kanye West a vu l’effondrement de son empire de 1,4 milliard US, suite à la suite de sa rhétorique antisémite. Ses propos sont aussi inquiétants que leur influence. Depuis la déroute de West, une parole immonde s’est libérée, des rues au web.

Elle s’ajoute à des chiffres qui perturbent. En 2020 — l’année du 75e anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz — le FBI a comptabilisé que 54,9 % des crimes haineux ciblant la religion étaient envers les Juifs, alors que la communauté ne représente que 2,4 % de la population adulte aux États-Unis. Au Canada, l’organisme B’nai Brith partageait qu’en 2021, les incidents antisémites avaient grimpé de 7,2 % par rapport à l’année précédente avec près 2800 incidents rapportés.

Les anniversaires passent et ils nous rappellent que progrès et évolution ne sont pas synonymes.

Le récent appui et l’accueil réservé aux Ukrainiens fuyant le conflit déclenché par Vladimir Poutine ont évoqué non seulement ce que nous sommes capables de faire, mais aussi ce que nous nous devons de faire.

La migration est l’enjeu commun le plus important de notre temps, qu’elle soit pour des raisons climatiques, économiques, politiques ou autres. Selon un rapport de l’ONU, il y avait 281 millions de migrants dans le monde en 2020. C’est trois fois plus qu’en 1970. Notre rapport avec l’immigration doit progresser. Les temps changent. Et nous ?

1. Regardez la bande-annonce du documentaire The U.S. and the Holocaust (en anglais)