Depuis la proposition de souveraineté, aucun gouvernement n’a réussi à soumettre un vrai projet de société pour le Québec. L’idée d’indépendance est maintenant flétrie, et une majorité de baby-boomers francos reste collée avec un vague à l’âme. Le presque demi-siècle au pouvoir de cette lignée achève toutefois.

Au suivant, chantait Jacques Brel.

La nouvelle génération, elle, sait ce qu’elle veut : un Québec vert, décarboné. Et elle a raison. Pour de multiples motifs environnementaux, sociaux et économiques.

Il est temps de se donner collectivement cette tâche : UN QUÉBEC ZÉRO CARBONE EN 2050. Le voilà le grand chantier.

Mais encore faudra-t-il que nos dirigeants se décalcinent eux-mêmes les esprits, et se donnent une volonté électrique pour passer à l’action.

Si le premier ministre Legault veut laisser un héritage important de son séjour en politique, il devrait embrasser ce projet. Autrement, son legs pourrait rester englué dans la gestion de la pandémie. Un chapitre bien court dans l’évangile politique du Québec.

Pour ce faire, avec ses ministres ténors, il ne faudra pas envisager le développement économique d’une manière comptable et poussiéreuse, mais plutôt le concevoir de façon visionnaire et XXIe siècle.

Certes, le gouvernement s’est donné un Plan pour une économie verte 2030, et le premier ministre a exprimé il y a quelques jours ses intentions sur la transition énergétique. Mais pourquoi on n’y croit pas vraiment ? Pourquoi on sent cela fake potentiellement ?

Parce que les signaux sont contradictoires.

Tout d’abord, cette priorité sur la transition n’a pas été énoncée comme telle durant la campagne électorale.

Et puis, le traitement du dossier de la fonderie Horne, en Abitibi, ou l’idée de la recherche d’entreprises étrangères, avec la carotte des contrats d’alimentation électrique cheapo. Ou les réponses dictées au ministre de l’Environnement, qui lui font perdre plus de crédibilité à chaque jour que le Bon Dieu amène.

Quand René Lévesque a nationalisé l’électricité, quand Robert Bourassa a mis à exécution son plan de développement de la Baie-James, Claude Castonguay, créé l’assurance-maladie, les sommes en jeu étaient énormes. Ils ont sûrement dû vivre des moments de vertige. Mais ils avaient des plans, réfléchis, ont cru à leurs bons augures, et ont foncé.

On appelle cela de la résolution, renchaussée par des convictions profondes, et de l’estomac.

C’est exactement ce qu’on ne ressent pas actuellement du gouvernement. Le discours ne convainc pas. Un sentiment de politique désossée.

Pourtant, un plan limpide, planifié dans le temps, chiffré et vérifiable, adossé à une détermination politique authentique, enverrait un message extraordinaire. Et s’il était bien vendu, aurait un écho planétaire.

La semaine dernière, un spécialiste, Yvan Cliche, expliquait dans ces pages comment explosaient dans le monde les engagements des entreprises à n’émettre aucun GES d’ici 20-30 ans1. Et comment le Québec peut devenir une terre d’accueil de choix pour celles-ci.

Ajoutons également comment les actionnaires des fonds d’investissement mondiaux deviennent de plus en plus militants, et exigent de la rectitude climatique. On ne compte plus le nombre de ces fonds qui désinvestissent des entreprises impliquées dans l’exploitation des combustibles fossiles. Cette tendance est irréversible et à notre avantage, absolument.

On le sait, très peu de pays dans le monde possèdent cet atout extraordinaire qu’est l’hydroélectricité, pour atteindre cet objectif du zéro carbone.

Ce que ce portrait lance comme signal, c’est qu’un tel plan peut être vachement lucratif. Entre autres, en accueillant d’autres genres d’entreprises, moins gloutonnes en énergie et plus innovantes par exemple, sans trop mettre la main dans nos poches, ou brocanter nos réserves hydroélectriques. C’est rare ça, et ça nous changerait…

Mais le grand dessein est de développer du savoir, de l’expertise, et des entreprises d’ici. Et des grappes industrielles, qui pourront éventuellement rayonner, et vendre leurs pratiques dans le monde entier. Bref, développer de manière endogène.

Cette initiative nous mettrait de plus en harmonie avec une génération aux portes du pouvoir. Alors, prenons de l’avance.

Et nous avons l’organisation parfaite pour mener ce chantier : Hydro-Québec. Sa présidente, Sophie Brochu, est brillante et actuelle. Cette femme sait où elle s’en va. Mais il faudra lui donner un mandat clair. Notamment sur l’augmentation de la capacité de production, toutes ressources confondues, et pour bâtir l’infrastructure nécessaire à l’électrification des transports, par exemple.

Pour que cela fonctionne, le PM et sa part d’élus trop rococos devront se faire vacciner contre ces crises subites, qui les font fantasmer sur la communion avec les big shots énergivores. Un spasme jouissif à court terme, mais un plaisir évanescent avec la modernité.

Ne nous contentons pas de flagosses économiques. Voyons loin, et grand, comme messieurs Lévesque et Bourassa.

On n’a pas encore exploité toute la valeur ajoutée, sorti tout le jus de leurs visions historiques. Ils ont étatisé, et développé cette filière dans une perspective d’autosuffisance énergétique, mais également pour sa valeur commerciale, ne l’oublions pas.

Le premier ministre a tout le pouvoir nécessaire, et la chance incroyable de faire arriver ce magnifique projet de société. La possibilité de laisser une empreinte indélébile de son passage en politique.

Allons, soyons opportunistes, la fenêtre est là !

Think big, sti !

On déguédine et on décarbone.

1. Lisez le texte d’Yvan Cliche : « Québec a le pouvoir d’être plus sélectif en hydroélectricité »

Entre nous

J’avais lu il y a quelques années Red Notice, cette histoire vraie, épopée d’un investisseur d’origine américaine en Russie, à qui le régime de Poutine tente de faire la peau financièrement, et dont il assassine le partenaire, Sergei Magnitsky.

Dans sa quête de rédemption, il fait voter la loi Magnitsky dans des dizaines de pays, qui permet à ceux-ci d’imposer des sanctions, comme le gel d’actifs ou l’interdiction de visas, aux responsables du meurtre de Magnitsky. Ce cher Vladimir se sent visé, et il a bien raison.

Freezing Order, la suite publiée cette année, est tout aussi haletante.

Un livre qui fait coucher tard.

Je rembourse encore s’il le faut.

Freezing Order

Freezing Order

Simon & Schuster

336 pages