En relançant le débat sur les seuils d’immigration, François Legault a-t-il ouvert l’équivalent d’une très personnelle boîte de Pandore ? Parce qu’il est bien difficile de parler de ce sujet sans finir par aborder la question de l’avenir constitutionnel du Québec. Et pour le chef d’une coalition de souverainistes et de fédéralistes, c’est forcément un exercice inconfortable.

La fortune politique de François Legault tient au fait qu’il a choisi de se placer en marge du débat sur la question nationale. Il n’est pas devenu fédéraliste en quittant le Parti québécois, il a dit qu’il était rendu ailleurs. Et comme c’est devenu, avec le temps, la position d’un assez grand nombre de Québécois, il a gagné son pari.

Mais le débat sur l’immigration va inévitablement le ramener là où il ne voudrait pas aller, surtout en campagne électorale, soit de se soucier du poids politique du Québec au sein du Canada. Parce que soulever cette question, c’est inévitablement reprendre le débat sur la question nationale.

M. Legault, on le sait, ne démord pas de son chiffre de 50 000 nouveaux immigrants par année, ce qui constitue, selon lui, la capacité d’accueil du Québec.

Ne demandez pas d’études sur la question, c’est comme pour le troisième lien : il faut croire le premier ministre sur parole.

Mais le débat sur l’immigration est complexe et il touche de nombreux enjeux sensibles : l’avenir du français au Québec, la pénurie de main-d’œuvre qui remet en question le développement économique et la qualité de nos services publics, sans oublier le poids politique du Québec au sein du Canada.

Pour certains, le Québec doit accueillir moins d’immigrants puisque ce sont eux qui constituent la principale menace à la pérennité du français au Québec. Il est exact qu’à l’heure actuelle, 85 % de l’accroissement de la population vient de nouveaux arrivants. Ce qui pose aussi la question : fait-on les efforts suffisants en francisation ?

Pour d’autres, on doit accueillir plus d’immigrants parce qu’il manque de personnel dans tous les secteurs de l’économie et qu’on ne peut se permettre de perdre notre compétitivité et la qualité de nos services publics. Les pénuries de main-d’œuvre ne se font pas sentir que dans le secteur privé, l’éducation et les soins de santé sont aussi très affectés.

Il y a de bons arguments des deux côtés. Et il n’y a pas d’unanimité chez les économistes et autres experts sur la nécessité d’augmenter les seuils d’immigration pour des raisons strictement économiques.

Mais un fait est incontournable : si le Québec baisse de façon significative le nombre d’immigrants qui s’y établiront, il est évident que le poids politique du Québec au sein du Canada va diminuer rapidement.

Actuellement, le Canada accueille, en gros, 450 000 nouveaux arrivants par année. Environ 15 % viennent au Québec. Pour maintenir le poids politique du Québec au sein de la fédération, il faudrait en accueillir un peu plus de 100 000. Un seuil qu’aucun parti politique dans ces élections ne croit possible d’atteindre.

Mais la question du poids politique du Québec (et, par extension, des francophones) doit nécessairement préoccuper tout premier ministre du Québec.

À son époque, Robert Bourassa en faisait une véritable obsession. Il avait même fait inscrire dans l’accord constitutionnel de Charlottetown – qui fut rejeté par référendum en 1992 – que le Québec aurait la garantie d’avoir le quart des sièges de la Chambre des communes.

Mais cette garantie n’existe pas et l’actuel gouvernement fédéral ne veut rien entendre d’une telle proposition, qui a été reprise au printemps par le Bloc québécois. Tout au plus, le gouvernement Trudeau serait prêt à garantir que les petites provinces ne perdront pas de sièges, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Or, selon les chiffres récents de Statistique Canada, d’ici 2043, le Québec pourrait constituer moins de 20 % de la population canadienne. On ne parlerait plus du quart des sièges aux Communes, mais bien du cinquième.

Interrogé sur cette perte d’influence au sein du Canada, cette semaine, M. Legault a choisi de répondre sur un autre sujet, affirmant que l’important était plutôt la prospérité des petits pays, citant en exemple la Suisse et les pays scandinaves. Ce qui est l’équivalent politique d’un botté de dégagement.

Mais la question ne s’en ira pas. M. Legault ne peut pas se présenter comme le grand défenseur du fait français quand il adopte la loi 96 et ne pas se soucier de la place du français au sein du Canada.

Le premier ministre du Québec a une responsabilité spéciale comme chef du seul gouvernement issu d’une majorité francophone sur ce continent. Cela ne peut pas être une responsabilité partielle, comme on dirait d’un travail à temps partiel.