La campagne électorale n’est vieille que de trois jours, mais on y voit déjà une tendance bien inquiétante : les politiques à court terme sont en train de gagner sur ce qui doit être fait pour le long terme. Le mauvais procès qu’on est en train de faire au Fonds des générations en est le meilleur exemple.

Le Fonds des générations est l’un des rares exemples au Québec d’un instrument d’une politique à long terme. En bref, on prend certains revenus de l’État – les redevances sur l’eau et certaines taxes – et on les investit dans le but de faire un important versement sur la dette. Le principe étant que les placements dans les marchés sont plus rentables que le paiement des intérêts sur les emprunts.

C’est un instrument d’autant plus important que dans quelques années, un grand choc démographique attend le Québec. Le vieillissement de la population combiné à la pénurie de main-d’œuvre, dont on commence seulement à vivre les conséquences, vont faire en sorte qu’il sera de plus en plus difficile d’offrir et de payer tous les services que l’État assume aujourd’hui. Surtout quand on sait qu’en moyenne, les citoyens consomment 95 % des soins de santé dans les deux dernières années de leur vie.

Le Fonds des générations est un instrument, ce n’est pas la panacée. Mais cela reste l’un des rares exemples de politique dont les résultats vont se faire sentir à long terme plutôt que dans le prochain mandat du gouvernement.

Il reste que depuis 2006 – depuis 16 ans, donc – ce fut un moyen qu’ont adopté et perpétué tour à tour les gouvernements libéraux, péquistes et caquistes. Mais il semble que cela ne survivra pas aux pressants impératifs à court terme de la présente campagne électorale.

Pour les partisans du Fonds des générations, garder une réserve pour des jours plus difficiles n’est que saine prudence. Mais à gauche comme à droite, on semble maintenant estimer que ce n’est plus utile, entre autres parce que la croissance de l’économie québécoise a fait diminuer le ratio dette-PIB. Ou encore qu’il y aurait des besoins plus urgents.

Chez Québec solidaire, par exemple, on admet qu’on a un déficit envers nos aînés, mais on a du mal à accepter qu’on puisse y remédier avec un instrument que l’on décrit volontiers comme de droite quand ce n’est pas néolibéral. Et dépenser tout de suite pour lutter contre les changements climatiques est une priorité qui se défend.

Mais il reste que, cette année, nos politiciens semblent s’être donné le mot pour dépenser tout de suite, même quand ça se traduit, pour la CAQ, par une réduction de 40 % des contributions au Fonds des générations.

C’est aussi ce que ferait le Parti libéral en ne touchant pas aux contributions au Fonds des générations, mais en repoussant le retour au déficit zéro de sept ans, ce qui augmenterait la dette de quelque chose comme 15 milliards de dollars. Mais ça revient au même : c’est la dette à long terme qui va payer pour des baisses d’impôt à court terme.

Il est vrai qu’en politique, une belle cagnotte bien garnie a toujours le même effet qu’un gros plat de bonbons sur les enfants : on ne peut résister à la tentation de mettre les mains dedans.

Même si, il y a 10 jours, le gouvernement Legault affirmait à un syndicat d’enseignants qu’il n’avait pas l’intention de changer de politique quant au Fonds des générations. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une campagne électorale est toujours pleine de surprises et impose toutes sortes de retournements rapides.

Le court terme est aussi en train de gagner sur le long terme quant à l’appréciation même de la question des pénuries de main-d’œuvre. Si on écoute le premier ministre François Legault, il n’y a pratiquement que de bons côtés à la pénurie de main-d’œuvre : les salaires augmentent, le chômage est pratiquement à un creux historique, la croissance économique est meilleure qu’en Ontario.

Bref, tout serait au beau fixe si ce n’était de l’inflation, qui a quand même l’avantage de permettre au gouvernement de faire ce qu’il aime le plus, surtout en campagne électorale, soit d’envoyer un chèque aux citoyens.

Mais le gouvernement Legault a peu à dire sur les conséquences à plus long terme de la pénurie de main-d’œuvre, soit des commerces qui doivent réduire leurs heures d’ouverture ou des services qui ne peuvent plus être assurés dans des délais raisonnables. Ce qui risque de prolonger tout ralentissement économique, comme la récession que plusieurs prévoient pour l’année prochaine.

Bref, tout se passe comme si le Québec nageait dans l’argent, en oubliant commodément que c’est surtout grâce à l’inflation que les finances du gouvernement ont connu une embellie.

Sauf que toutes ces baisses d’impôt et ces chèques envoyés directement aux citoyens risquent bien plus, comme l’affirment la plupart des économistes, de nourrir la bête inflationniste au lieu de l’apaiser.