En politique, les précampagnes sont toujours révélatrices. Elles servent soit à définir l’adversaire avant qu’il n’ait eu la chance de le faire, soit à corriger ou à masquer les défauts d’un chef ou de sa plateforme. Et à regarder la précampagne de la Coalition avenir Québec (CAQ), on voit clairement où elle croit avoir des failles.

On a beaucoup parlé d’une publicité mettant en vedette une madame Tout-le-Monde qui décrit combien le premier ministre Legault est proche des gens, qu’il n’a pas peur de s’excuser quand il fait des erreurs et que, dans les circonstances, personne n’aurait fait mieux. Il y en a maintenant plus d’une sur ce thème.

Décryptage : on craint que l’image de M. Legault soit celle d’un homme un peu arrogant. Un millionnaire loin des préoccupations du monde ordinaire et qui a peut-être fait des erreurs dans cette situation totalement inédite de la pandémie, comme quiconque en aurait fait !

Étonnamment, on insiste aussi sur la capacité de M. Legault de s’excuser. C’est sans doute arrivé quelques fois, mais disons qu’une recherche rapide montre qu’il est bien loin d’avoir l’habitude d’un Justin Trudeau en matière d’excuses publiques.

Mais si ces questions sont mises en lumière, c’est nécessairement parce qu’elles ont été révélées par des sondages ou des groupes de discussion, les fameux groupes de discussion (focus groups) qui font partie de la recherche de tout parti qui en a les moyens. Des perceptions qu’il faut corriger.

Cela dit, ce qui est inusité, dans cette précampagne, c’est qu’elle ne s’attaque, en tout cas pour l’instant, pas du tout à ses adversaires.

Quand on regarde les plus récents sondages, il est vrai qu’aucun des partis de l’opposition ne dépasse la barre des 20 % du vote et ne semble vouloir menacer la CAQ. De la publicité négative, à ce moment-ci, pourrait bien se retourner contre ses auteurs.

Mieux vaut, donc, à ce moment-ci, essayer de lisser l’image du chef à l’aide de publicités mettant en vedette soit des électeurs « ordinaires » ou des députés d’arrière-ban qui viennent vanter ses qualités. Ce qui démontre que, pour la CAQ, on ne sent vraiment pas qu’il y a péril en la demeure.

De toute façon, il sera toujours temps d’ajuster la publicité aux circonstances. Souvenez-vous des élections de 2003, quand les libéraux de Jean Charest ont senti que leur principal adversaire n’était plus le Parti québécois (PQ) – qui terminait un second mandat tumultueux et montrait des signes de fatigue avec un chef – le troisième depuis leur prise du pouvoir – qui, malgré son expérience, en était à sa première campagne comme chef.

Beaucoup de gens avaient sourcillé en voyant les libéraux adopter le slogan « Nous sommes prêts ». Mais ce slogan ne visait pas le PQ au pouvoir, mais le deuxième parti de l’opposition, l’Action démocratique du Québec (ADQ) de Mario Dumont qui était en nette montée.

Les sondages internes des libéraux montraient que l’ADQ suscitait de la méfiance à cause de la jeunesse et de l’inexpérience de l’équipe. Le « Nous sommes prêts » des libéraux visait Dumont et son parti plutôt qu’un PQ fatigué. Bel exemple d’une campagne qui sait changer de cible quand les circonstances l’exigent.

Mais les précampagnes peuvent aussi montrer les faiblesses des partis.

Et pour la CAQ, dans ce cas-ci, cela prend la forme d’un rituel pour les nouveaux candidats – surtout ceux de la région de Québec – d’une profession de foi aveugle en faveur du troisième lien, ce tunnel entre Québec et Lévis.

Les candidats doivent affirmer publiquement que non seulement ils soutiennent le pharaonique projet, mais aussi qu’ils n’ont jamais même eu la pensée qu’il pourrait s’agir d’une fausse bonne idée.

Même si cela a l’effet pervers de suggérer clairement à l’électorat que ledit troisième lien risque d’être un point faible pour la CAQ au cours de cette campagne – au moins en dehors de la région de Québec. On voudrait donc que l’un des moyens de contrer cela soit de montrer qu’il y a une franche unanimité dans le parti.

Reste que ce tunnel est en train de devenir le symbole d’une des faiblesses du gouvernement de la CAQ : son indifférence presque totale sur les questions d’environnement.

Il y a une limite à dire que le projet ne va pas encourager l’étalement urbain. Ou à prétendre qu’il s’agit de remplacement nécessaire de ponts vieillissants. Rappelons que le pont de Québec, construit 57 ans après le pont Victoria, est toujours ouvert, et personne n’en demande l’abandon. De même, le pont Jacques-Cartier a 40 ans d’usure de plus que le « vieillissant » pont Pierre-Laporte.

Mais au fil des récents événements, le troisième lien, même sans études et données d’achalandage, a pris le statut d’une « évidence » dans le discours de la CAQ. Donc, nul besoin de regarder d’abord d’autres solutions moins coûteuses. Parce que, c’est bien connu, les « évidences » ne se contestent pas.