Le projet de loi 96 va-t-il aider la cause du français au Québec ? On le verra à l’usage, mais ce n’est pas certain. Par contre, cela nous donne un éclairage assez cru sur la façon dont le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) gouverne et légifère.

Si la situation de la langue française au Québec est menacée, il aurait été normal d’en faire une étude sérieuse avant de légiférer. Et, disons-le d’entrée de jeu, 45 ans après l’adoption de la loi 101, il est bien possible qu’il soit utile ou même nécessaire de la revoir. Après tout, elle a été adoptée alors que l’internet et les réseaux sociaux n’existaient pas et on ne parlait ni de libre-échange ni de mondialisation.

Mais cela aurait pris trop de temps pour la CAQ. Il importait de présenter et d’adopter la loi avant les élections – question de pouvoir faire la campagne électorale sur le dos des partis qui « sont contre le français au Québec ». Ce qui devrait être suffisant pour une part non négligeable de l’électorat pour qui tout « ajout » à la loi 101 sera nécessairement une bonne chose.

On a donc choisi de prendre la loi 101 et de resserrer d’un quart de tour tous les boulons disponibles. Ce qui ne change rien de fondamental et qui n’aura sans doute pas d’effet réel sur la situation du français.

Mais pour avoir l’effet souhaité, il importait de serrer le plus de boulons possible pour donner l’impression qu’on a fait quelque chose pour freiner le déclin du français, mais sans donner un nouveau regard à l’ensemble du dossier. C’est le syndrome : la loi 101 ne marche pas, il faut plus de lois 101.

Sauf qu’il y aura parfois des effets carrément négatifs.

Par exemple, dans toutes les démocraties, on rebute à donner un pouvoir de perquisition et de saisie sans la permission d’un juge. Pas même pour les policiers qui luttent contre le crime organisé ou le terrorisme. Mais c’est ce que pourront faire les inspecteurs de l’Office québécois de la langue française au cas où un courriel de trop aurait été envoyé en anglais.

Dans un gouvernement normal, le ministre de la Justice aurait gentiment indiqué à son collègue que cet article de la loi n’est pas vraiment nécessaire et ne va que causer d’inutiles mauvaises perceptions. Mais voilà, le ministre de la Justice est aussi ministre responsable de la Langue française, et M. Jolin-Barrette insiste que tout cela a été monté en épingle… et l’article sera maintenu !

De même, la loi 96 ferait en sorte qu’après six mois de présence au Québec, un immigrant ne pourrait plus recevoir de services de l’État dans une autre langue que le français. Même dans un hôpital où il est quand même essentiel que la communication entre soignants et patients soit la plus limpide possible.

Tout n’est pas négatif dans cette loi. Même certaines obligations – comme les trois cours en français au collégial anglophone – ne devraient pas causer de problèmes majeurs, quoi qu’on en dise.

Mais la loi 96 nous révèle surtout quelque chose de plus profond à propos du gouvernement de la CAQ : son côté transactionnel. On semble dire : il n’y a pas de votes ou de circonscriptions pour nous dans la communauté anglophone, nous n’avons donc pas à nous soucier de ce que pense la communauté anglophone.

Ce qui donne une loi qui donne à plusieurs l’impression de faire porter à la communauté anglophone du Québec la responsabilité de l’attractivité de l’anglais – ce qui est pourtant un phénomène continental, sinon mondial.

Par contre, il y a des électeurs pour la CAQ dans les banlieues de Montréal ou de Québec, alors rien n’est trop beau. Que ce soit le troisième lien ou des autoroutes ou d’autres infrastructures qui favoriseront l’étalement urbain.

Pourtant, l’étalement urbain est une des raisons principales qui expliquent que l’anglais gagne du terrain dans les quartiers centraux de Montréal.

Au cours des 50 dernières années, de simples villages dans la couronne de Montréal sont devenus des villes de dizaines de milliers d’habitants. Ces villes comme Mirabel, Mascouche, Terrebonne, Candiac, etc. sont en grande majorité habitées de familles francophones qui, si elles étaient restées dans l’île de Montréal, en auraient totalement changé l’équilibre linguistique.

Est-ce que le gouvernement caquiste a pris quelque mesure que ce soit pour limiter l’étalement urbain ? Bien sûr que non. À long terme, ce serait le meilleur moyen d’aider le français à Montréal. Mais à court terme, un gouvernement aussi transactionnel ne fera rien qui risquerait de lui coûter des voix dans sa base électorale du 450.