Avec près de 59 % des voix au 2e tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron aurait pu triompher. Après tout, voici un meilleur score que ceux de François Mitterrand ou même du général de Gaulle quand il s’est retrouvé dans un second tour.

Mais, au pied de la tour Eiffel, dimanche, on a plutôt vu un Macron qui semblait avoir compris combien sa victoire était due tout autant à des circonstances particulières qu’à l’appréciation de son premier mandat comme président.

Il a reconnu que bien des électeurs l’avaient choisi non pas par adhésion, mais pour faire barrage au Rassemblement national et à l’extrême droite. Et que le taux très élevé d’abstentions, 28 %, signifiait un « refus de choisir auquel nous devrons répondre ».

Pas étonnant qu’il ait promis que son second mandat « ne sera pas la continuité de celui qui s’achève » et qu’il y effectuera une « refondation » de ses méthodes.

Il est vrai que la campagne a montré qu’il y a de profondes divisions en France que le premier mandat Macron a eu tendance à exacerber plutôt qu’à calmer. La crise des gilets jaunes en a été l’exemple le plus éloquent, mais ce ne fut pas le seul.

En fait, bien des Français ont l’impression qu’ils ont de plus en plus de mal à boucler les fins de mois et que leur gouvernement et leur président avaient peu de temps pour leurs problèmes quotidiens et passaient plus de temps dans les grands dossiers diplomatiques et loin du terrain et des citoyens.

Macron doit changer, et son très bref discours de victoire, dimanche, semble montrer qu’il le sait et qu’il va le faire.

Mais la réélection de M. Macron apporte aussi des bouleversements majeurs de la politique française. Les partis traditionnels de droite et de gauche sont pratiquement laminés.

La plus grande formation politique – à droite comme à gauche – rejette le système actuel : autant le Rassemblement national que La France insoumise veulent des changements bien plus importants que ceux qu’apportait la simple alternance entre les partis de la droite ou de la gauche. Cela aussi en dit long sur les fractures dans la société française.

Mais une fois que tout cela a été dit, M. Macron se trouve dans une assez bonne position pour les élections législatives qui auront lieu les 12 et 19 juin. Le « troisième tour » comme on dit en France.

Le système à deux tours lors de législatives devrait permettre au parti de M. Macron, La République en marche, de conserver une majorité à l’Assemblée nationale, même si ce ne sera pas le balayage qui avait eu lieu il y a cinq ans.

À droite, il est clair que c’est une véritable guerre civile qui est en train de s’engager. Malgré un score record pour l’extrême droite – 41,2 % –, le leadership de Marine Le Pen sera contesté.

Le candidat Éric Zemmour a déclaré rapidement que « cela fait trop longtemps que ceux qui aiment la France ont été vaincus. Hélas ! C’est la huitième fois que la défaite a frappé le nom de Le Pen », en comptant les défaites de Marine et de son père, Jean-Marie Le Pen.

PHOTO FRANÇOIS MORI, ASSOCIATED PRESS

Marine Le Pen lors de la soirée électorale de dimanche

Avec ses 7 % des voix au premier tour, M. Zemmour, dans des termes à peine voilés, dit que Marine Le Pen ne peut pas gagner et se propose pour la remplacer comme leader de l’extrême droite. Malgré sa déception, le discours de Mme Le Pen indiquait clairement qu’elle n’entend pas lui laisser la place.

Cette lutte intestine à l’extrême droite, quel qu’en soit le résultat, ne peut qu’aider M. Macron, et il ne le sait que trop bien.

Les difficultés de la gauche sont d’un autre ordre, mais pourraient arriver au même résultat.

Le Parti socialiste a obtenu le pire résultat de son histoire – 1,7 % des voix, il y a deux semaines. Le Parti communiste aura fait à peine mieux. Ces deux partis historiques de la gauche ont toutes les chances de ne pas avoir suffisamment de députés – la barre est à 25 – pour former un groupe parlementaire reconnu.

La France se retrouve donc avec trois blocs politiques importants. L’extrême droite, la gauche radicale et le centre qu’occupe entièrement le président nouvellement réélu. Et si cette élection présidentielle a montré quelque chose, c’est que la France rejette les extrêmes et préfère être gouvernée depuis le centre.

Ce centre sera moins confortable qu’il n’y paraît. M. Macron ne peut rien tenir pour acquis, car il a gagné parce que ses compatriotes n’ont pas voté pour lui avec beaucoup d’enthousiasme. Ils ont plutôt voté pour le « moins pire ».

Dans les circonstances, le « troisième tour » pourrait bien être celui de tous les dangers pour M. Macron. Il aura peu de temps pour montrer qu’il a tiré les leçons de l’élection présidentielle et qu’il entend gouverner autrement.

Ce qui, dans tous les pays, est toujours plus facile à dire qu’à faire.