(Paris) Malgré la pandémie, malgré la guerre en Ukraine, le plan de match d’Emmanuel Macron – qu’il avait élaboré il y a fort longtemps – s’est réalisé parfaitement : il se retrouve non seulement au second tour contre l’adversaire qu’il voulait, Marine Le Pen, mais celle-ci est plutôt mal placée pour l’emporter.

Le développement le plus important de la soirée de dimanche est que le Front républicain contre l’extrême droite, qui a existé en 2002 et en 2017, s’est reformé avant même que les deux protagonistes du second tour n’aient terminé leurs discours devant leurs partisans.

Ce n’était ni évident ni acquis. M. Macron doit défendre un bilan que ses adversaires ont critiqué tout au long de la campagne. Le fait qu’ils aient tous dit de voter Macron – ou, au moins, de ne pas voter Le Pen – est, en soi, une grande victoire pour le président sortant.

Cela montre que la France n’est pas un pays qui se reconnaît dans les extrêmes, même s’ils peuvent parfois être très bruyants.

« Ce n’est pas nous », a dit M. Macron plusieurs fois au cours de son discours. Cela rejetait clairement la seule adversaire qui lui reste dans le camp de ceux qu’il a appelés les « xénophobes et les populistes ».

À la fin, les Français auront même fait mentir la tendance qu’on semblait déceler dans les sondages. M. Macron est le seul candidat qui ait fait mieux qu’il y a cinq ans, et le chemin pour que Mme Le Pen puisse obtenir plus de 50 % des voix est très étroit. Ce qu’on appelle ici « le vote utile » a déjà fait son œuvre.

En particulier, le score du polémiste Éric Zemmour, à 7,1 %, est un peu moins élevé que ne l’indiquaient les sondages. Ce qui laisse un bassin de report de voix moins important que prévu. Il n’y a pas eu le « vote caché » pour l’extrême droite que certains attendaient.

Mais M. Macron a beau dire que rien n’est joué, ce résultat est une victoire plus large que ce à quoi il pouvait s’attendre. Parce qu’il fait presque le vide autour de lui et de son parti.

Cette élection marque la fin d’une certaine façon de faire de la politique en France. Les partis traditionnels, à droite comme à gauche, les communistes, les socialistes, les écologistes et même les Républicains – héritiers du gaullisme – sont laminés.

Ces partis de la droite ou de la gauche traditionnelles n’ont même pas obtenu les 5 % des voix requis pour recevoir un remboursement des dépenses électorales. La défaite de dimanche soir pourrait donc aussi entraîner d’énormes problèmes financiers. Et comme l’argent est le nerf de la guerre en politique comme ailleurs, cela devrait accélérer la nécessaire re-fondation de ces partis.

Même le parti qui a fini troisième, La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, devra aussi se réinventer puisqu’il est peu probable que son candidat et principal atout, qui a 70 ans, soit du prochain rendez-vous.

M. Mélenchon passait à 1,5 point de pourcentage d’être qualifié pour le second tour, alors que près de 98 % des voix avaient été comptées. Pendant ce temps, le candidat communiste Fabien Roussel – qu’on avait invité au cours des derniers jours à se retirer en faveur de M. Mélenchon – obtenait 2,3 % des suffrages. Il va y avoir de grosses discussions au sein de la gauche au cours des prochains jours !

Cela étant dit, rien n’est jamais totalement joué en politique et personne n’est à l’abri d’une gaffe ou de perdre un débat – comme il y en aura un le 20 avril.

La question grâce à laquelle Mme Le Pen a gagné la majorité de ses appuis est clairement la vie chère et la baisse du pouvoir d’achat. M. Macron disait hier que son plan sur ces questions était meilleur que celui de son adversaire, il devra maintenant le prouver. De même, il devra défendre son bilan des cinq dernières année où tout n’a pas été reluisant, notamment en santé.

Mais il pourra, lui aussi, critiquer le programme de Mme Le Pen, et surtout les éléments qu’elle a largement réussi à camoufler depuis le début de la campagne, en particulier sur l’immigration, la sécurité et les questions identitaires. Des questions où son programme cause beaucoup de clivages dans la société française.

Les liens de Mme Le Pen avec la Russie de Vladimir Poutine – sa campagne de 2017 a été en partie financée par un prêt d’une banque russe et, après l’invasion de l’Ukraine, elle a été obligée de jeter à la poubelle plus de 1 million de tracts électoraux qui contenaient une photo de Mme Le Pen avec le chef du Kremlin – seront aussi mis en lumière.

Ce deuxième tour sera donc une reprise du second tour de 2017. Mais avec des différences majeures qui ne laissent qu’une voie très étroite pour Mme Le Pen. Avec le Front républicain qui s’est reconstitué spontanément, le chemin pour l’Élysée de la candidate du Rassemblement national semble semé d’embûches.