Tout cela est devenu nécessaire parce qu’on a toujours été en retard. Rien de tout cela ne serait arrivé si Bruno Marchand avait été maire d’Ottawa plutôt que de Québec. Ou si on avait écouté la célèbre maxime : « Gouverner, c’est prévoir. »

On ne reviendra pas longtemps là-dessus, mais tout ce qui s’est passé à Ottawa était prévisible et évitable. Un convoi hautement médiatisé de semi-remorques dont on connaît les intentions et la destination aurait pu être dérouté sans lui donner la possibilité de prendre le centre-ville de la capitale du pays en otage.

On aura le temps, dans les semaines et mois qui viendront, pour trouver des responsables, mais il est déjà clair qu’il faudra regarder vers les autorités municipales et policières de la ville d’Ottawa, le gouvernement provincial de l’Ontario qui a été longtemps aux abonnés absents et aussi au gouvernement fédéral, qui a longtemps attendu que les autres agissent.

Invoquer la Loi sur les mesures d’urgence n’aurait pas été nécessaire si les autorités compétentes avaient agi en temps requis. Après tout, ce qui devait être fait n’était pas si compliqué : c’était de déplacer ou remorquer quelques centaines de camions du centre-ville d’Ottawa.

Ce n’était pas simple, il fallait se donner des moyens techniques et prévenir la violence, mais ce n’est certainement pas impossible dans le pays où on a inventé le téléphone, l’insuline et le stimulateur cardiaque.

Surtout, ça n’exigeait pas d’invoquer la nouvelle version de la Loi sur les mesures de guerre. Et si le gouvernement Trudeau l’a invoquée – malgré les objections de plusieurs provinces, dont le Québec – c’est uniquement parce qu’il avait perdu le contrôle politique de la situation et qu’il devait donner l’impression de faire quelque chose.

À force d’attendre que l’occupation d’Ottawa se règle d’elle-même, on en a suscité d’autres, donc celle du pont Ambassador entre Sarnia et Detroit. Au point où il a fallu une intervention de la Maison-Blanche pour décider le Canada et l’Ontario à agir. Disons que ce n’est pas exactement le genre d’attention que le Canada aime obtenir de la part du président des États-Unis.

Par ailleurs, on est en droit de se demander quels sont les pouvoirs de la Loi sur les mesures d’urgence dont le gouvernement a absolument besoin.

Mais si nous en sommes rendus là, selon le gouvernement, voyons si la loi peut quand même avoir certains effets utiles. Surtout pour ses pouvoirs financiers qui permettront d’examiner un aspect très troublant de toute cette crise : soit le financement venant des États-Unis.

Un financement provenant de l’étranger pour un mouvement qui a donné lieu à l’occupation illégale de la colline parlementaire et d’une bonne partie de la ville d’Ottawa ainsi que de postes frontaliers importants, ce n’est pas banal et c’est troublant. Surtout que l’on sait avoir eu affaire à un mouvement très bien organisé et très bien financé.

On sait aussi grâce à des fuites qu’une bonne moitié des dons aux camionneurs canadiens venait de l’étranger, essentiellement des États-Unis, au moins sur l’une des plateformes de sociofinancement utilisées.

En plus, lorsque le financement de ces plateformes comme GoFundMe ou ensuite GiveSendGo s’est tari au début du mois après qu’elles se sont rendu compte que l’argent ainsi distribué soutenait une occupation illégale, on a trouvé d’autres formes de financement, soit les cryptomonnaies, ce qui implique un financement bien organisé.

On peut y craindre des liens qui deviendraient de plus en plus étroits entre les mouvements les plus à droite du Canada et ceux des États-Unis. Des mouvements appuyés par des médias où il est de bon ton de dénoncer le « régime socialiste » qui sévit au nord de la frontière. Quand ce n’est pas de prétendre – certains avec ironie, mais pas toujours – que Justin Trudeau est le fils de Fidel Castro.

Comme le disait au New York Times la professeure Stephanie Carvin. de l’Université Carleton, « la plus grande méprise, ici au Canada, c’est de penser que le mouvement [des camionneurs] a été infiltré par des extrémistes. C’est un mouvement extrémiste qui a obtenu l’attention de tout le monde ».

Mais si la moitié du financement est venue de l’étranger, c’est aussi que l’autre moitié est venue du Canada. Et, de ce côté, le gouvernement devrait s’interroger sur sa propre attitude dans tout ce dossier.

Comme le rappelait fort à propos le député libéral Joël Lightbound, le gouvernement a exacerbé les tensions depuis la campagne électorale par le ton qu’il a employé envers les non-vaccinés.

La Loi sur les mesures d’urgences n’est que le prolongement de cette attitude. Il faut espérer que son utilisation soit limitée dans le temps comme dans ses effets et qu’après, le gouvernement adoptera le ton de la réconciliation.