La course à la direction du Parti conservateur n’est pas encore lancée – ni la date ni les règles ne sont même connues – que, déjà, les divisions sont en train d’éclater au grand jour entre conservateurs partisans d’une droite plus dure, conservateurs sociaux et progressistes conservateurs.

Le député Pierre Poilievre a déjà lancé sa campagne avant même que le chef déchu Erin O’Toole ait eu le temps de déménager du bureau du chef de l’opposition. Le but est évident : un départ canon, pour occuper le terrain et, si possible, donner une impression d’inévitabilité à sa candidature.

Déjà, il pourrait compter sur l’appui d’une quinzaine de députés conservateurs et aussi d’importants organisateurs, comme le sénateur Léo Housakos.

Mais M. Poilievre est une personnalité clivante, capable du meilleur comme du pire et, surtout, il est reconnu pour être sans merci pour ses adversaires, quitte à continuer de s’acharner même quand ils ont baissé les bras.

Et c’est ce qui rebute certains de ses appuis potentiels. On le voit comme cassant et prêt à tout pour marquer des points politiques. Ce qui fait qu’il ne gagnera sans doute pas le concours du « politicien avec qui vous aimeriez aller prendre une bière ».

Son conservatisme est d’abord et avant tout économique – plutôt de tendance libertarienne, sa vidéo de lancement de campagne le démontre amplement, y compris sur la « liberté vaccinale ». Mais c’est le discours populiste anti-élite et anti-médias qui est sa marque de commerce et cela rejoint les conservateurs qui cherchent une sorte de trumpisme à la canadienne.

Par contre, il ne rejoint plus les positions de la droite dite sociale sur des questions comme l’avortement et le mariage gai. Quand il testait les eaux en vue d’une possible candidature pour succéder à Andrew Scheer, il avait annoncé avoir changé d’idée sur ces questions.

Ce qui l’embête, c’est qu’il n’a pas d’appuis parmi les députés québécois et que le lieutenant québécois d’Erin O’Toole, Alain Rayes, a démissionné de son poste pour pouvoir appuyer un candidat « progressiste », de centre droit, dans la course au leadership, ce qui signifie, même s’il s’en défend, un candidat autre que Pierre Poilievre.

Du côté des députés québécois, certains ont fait des appels à Jean Charest, ancien chef conservateur et premier ministre du Québec, qui avait songé à se présenter en 2020. Il est un progressiste-conservateur qu’ils aimeraient bien voir reprendre du service.

Mais plusieurs doutent qu’à 63 ans, celui qui a quitté la politique il y a presque une décennie et qui a une enviable carrière dans le monde des affaires – il vient d’être nommé au conseil d’administration du CN – soit encore intéressé par la direction du Parti conservateur.

En plus, c’est un secret de Polichinelle que l’ancien premier ministre Stephen Harper n’apprécie guère M. Charest. Il s’était agité pour lui bloquer la voie en 2020 et personne ne doute qu’il le ferait encore si nécessaire.

Alors que les progressistes recherchent un candidat qu’ils pourraient appuyer, la chroniqueuse politique Tasha Kheiriddin, l’ancien ministre et dernier chef du Parti progressiste-conservateur Peter MacKay et l’ancien chef conservateur ontarien et maire de Brampton Patrick Brown sont aussi pressentis, mais, pour l’instant, « ce sont eux qui font des appels, ils n’en reçoivent pas tant que ça », dit une source conservatrice.

Deux membres du caucus pourraient aussi être de la course, soit la députée Leslyn Lewis, qui serait encore une fois la candidate pro-vie, et la députée albertaine Michele Rempel Garner, qui aimerait se poser en candidate de compromis, malgré ses positions sociales sur le mariage gai, par exemple.

Mais tout cela place les députés conservateurs québécois dans une situation délicate. Ils veulent à tout prix éviter que leur nouveau chef passe son temps à expliquer ses positions sur des questions comme l’avortement, comme avait été obligé de le faire Andrew Scheer.

Mais ils veulent avant tout que le parti modifie son offre politique. Qu’il ait finalement une plateforme environnementale crédible, par exemple. Mais c’est quand même un peu difficile quand les délégués au dernier congrès conservateur ont refusé de reconnaître la réalité des changements climatiques.

Pour être élu chef, il faudra plaire à la base, aux membres du Parti conservateur qui voteront pour choisir leur nouveau leader. Une base beaucoup plus à droite que la majorité des Canadiens. Et une partie significative de cette base s’est radicalisée au cours des dernières années et admire ouvertement l’ancien président Trump et s’abreuve à Fox News plutôt qu’aux médias canadiens.

Normalement, cela devrait aider la candidature de Pierre Poilievre, d’autant que son départ canon risque de décourager les candidats potentiels.

Le problème risque de survenir lors de la campagne électorale, quand, traditionnellement, le parti doit, pour avoir une chance de gagner, se rapprocher du centre sans aliéner la base du parti – précisément ce qui a coûté son poste à Erin O’Toole.