Les Québécois et les Canadiens ont conclu une campagne électorale dont ils ne voulaient pas en reconduisant, en gros, les mêmes députés à la Chambre des communes. On pourrait y voir un signe qu’ils n’étaient pas malheureux d’avoir un gouvernement libéral minoritaire et qu’ils ont voté en conséquence.

Ce n’est pas tout à fait faux, mais on peut y trouver une autre interprétation. Les Québécois et les Canadiens sont insatisfaits de l’offre politique actuelle et ils ne voyaient pas d’option à laquelle ils pouvaient se rallier.

On peut vouloir punir les libéraux pour toutes sortes de raisons en plus de ces élections inutiles, mais encore faut-il que la solution de rechange reflète les valeurs de la majorité.

Or, malgré les beaux efforts du chef conservateur Erin O’Toole pour ramener son parti vers le centre, il y avait trop d’incertitudes quant au programme du parti sur des questions de nature sociale qui tiennent à cœur à la majorité, que ce soit le contrôle des armes à feu – en particulier les armes de poing qui font des ravages dans nos villes et dont on a très peu parlé durant la campagne électorale – ou la lutte contre le réchauffement climatique.

Tous les partis sont nécessairement des coalitions, mais celle des conservateurs inclut des députés de l’ancien Reform Party pour lesquels les questions de contrôle des armes à feu ou de cibles de réduction des gaz à effet de serre sont encore frappées d’interdit.

Dans les circonstances, on ne peut blâmer les électeurs pour lesquels ces questions sont importantes – et elles font un assez large consensus au Québec – de ne pas se sentir à l’aise de voter pour les conservateurs.

Ils l’auraient peut-être été si une option comme le Parti progressiste-conservateur existait encore. Mais ce n’est plus une option. Le Parti conservateur du Canada est franchement niché à droite, et ça ne devrait pas changer de sitôt.

Ce qui fait que la tâche de Justin Trudeau de continuer à gouverner – avec une minorité relativement stable et pouvant s’appuyer sur non pas un, mais deux partenaires ayant le nombre de députés requis pour faire passer ses politiques – n’est pas une si grosse commande. En tout cas, moins que celle de recentrer le Parti conservateur.

Pour le Québec, cela oblige deux observations. D’abord : il n’y a pas eu d’« effet Legault ». Le premier ministre, qui avait averti les Québécois de ne pas voter rouge, orange ou vert, « des partis dangereux pour le Québec », n’a pas réussi à faire progresser substantiellement ni les bleu foncé d’Erin O’Toole, ni les bleu pâle d’Yves-François Blanchet. Pour eux aussi, le résultat est le statu quo.

Pour M. Legault, cependant, il y a un avertissement. On comprend bien que son nouveau personnage de réincarnation de Maurice Duplessis comme défenseur de la nation, de ses compétences, de ses valeurs et de sa langue lui plaît beaucoup.

Mais ce ne sont pas les seules valeurs qui vont entraîner l’adhésion des Québécois. Des questions comme l’environnement – qui demeure plus que jamais l’angle mort du gouvernement Legault – doivent aussi être une préoccupation réelle du gouvernement. En passant, le fait de vendre de l’énergie propre à New York est une bonne chose, mais elle ne dispense pas le Québec d’avoir un programme rigoureux de réduction de ses gaz à effet de serre.

L’autre observation est qu’il n’y a pas eu d’« effet débat en anglais ». M. Blanchet a eu beau utiliser à fond la question tordue de la modératrice – et surtout étirer l’élastique jusqu’à en faire un affront de tout le Canada anglais à toute la nation québécoise – il n’aura pas réussi à obtenir un résultat qui est sensiblement différent de la dernière fois.

Il aura peut-être pu freiner la chute, mais il n’a pas pu s’en servir pour se propulser plus haut. C’est sans doute parce que les électeurs qui étaient sensibles à ce genre d’arguments votaient déjà pour le Bloc et que le sujet intéressait pas mal moins les autres électeurs.

La prochaine fois que les Québécois iront aux urnes, ce sera presque exactement dans un an lors des élections provinciales. S’il y a une leçon à tirer des élections que nous venons de vivre, c’est bien que les électeurs voudront une offre politique qui touche à l’ensemble de leurs valeurs.

Tout le monde est pour la défense du français et des compétences du Québec. Mais si les nouveaux émules de Duplessis n’ont pas autre chose à offrir en environnement, en éducation et en réduction des inégalités, ils pourraient bien se faire dire que leur offre politique a dépassé depuis longtemps sa date de péremption.