Le Québec allait nécessairement être au cœur de cette campagne électorale. En début de campagne, la relative popularité du premier ministre Justin Trudeau pouvait lui permettre de penser que c’est en bonne partie au Québec qu’il gagnerait le nombre de sièges requis pour redevenir majoritaire.

La bataille du Québec va bel et bien avoir lieu, mais elle aura un tout autre enjeu. Dans l’état actuel des choses, c’est le Québec qui pourrait bien donner aux libéraux juste assez de sièges pour former le gouvernement, même en ayant perdu le vote populaire, comme aux dernières élections. C’est au conditionnel et c’est un « gros conditionnel »…

Les sondages indiquent que les libéraux ont perdu du terrain dans les deux premières semaines de la campagne, essentiellement aux mains des conservateurs d’Erin O’Toole, mais aussi au profit du NPD qui profite, entre autres, de la déconfiture du Parti vert.

En Ontario et en Colombie-Britannique, là où les sondages de début de campagne indiquaient des gains intéressants pour les libéraux, ils tentent aujourd’hui de maintenir leurs acquis ou d’en perdre le moins possible. La même chose est vraie, dans une moindre mesure, dans les Maritimes, là où les libéraux ont déjà 27 sièges sur 32.

Mais, contrairement au reste du pays, au Québec, les sondages n’ont à peu près pas bougé depuis le début de la campagne. Les libéraux dominent avec 37 % des voix, suivis du Bloc québécois avec 29 % et des conservateurs à 18 %.

C’est une avance qui ne semble pas vouloir faiblir. Mais ça ne veut pas dire que les jeux sont faits. Il y a une dizaine de circonscriptions québécoises où la majorité du député sortant est de moins de 2000 voix. Six sont détenues par des députés libéraux, quatre par des bloquistes. Il y a même deux ministres avec de toutes petites majorités : Jean-Yves Duclos dans la circonscription de Québec (325 voix de majorité) et Diane Lebouthillier dans Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (637 voix de majorité).

Les libéraux espèrent gagner certains de ces sièges sans perdre ceux qui sont vulnérables. Sauf que, pour les gagner, il faudra les arracher au Bloc québécois, ce qui ne sera pas facile. Dix-sept des 32 membres du caucus actuel du Bloc ont des majorités de plus de 10 000 voix, ce qui est difficile à renverser à moins d’une forte vague qu’on ne voit pas encore.

Et dans les circonscriptions où la majorité du candidat bloquiste est plus ténue, ce ne sont pas toujours les libéraux qui sont en position de les prendre. Une de ces circonscriptions dans la région de Québec serait plus susceptible de passer aux conservateurs (Beauport-Limoilou) et une autre (Berthier-Maskinongé) pourrait aller au NPD avec le retour de l’ancienne députée Ruth Ellen Brosseau.

Reste que les prévisionnistes qui traduisent les sondages nationaux en nombre de sièges prévoient toujours un gain d’une dizaine de sièges pour les libéraux, essentiellement arrachés au Bloc québécois.

Ce qui signifie deux choses. Les libéraux ne sont pas en voie de faire les gains qu’ils pouvaient envisager en Ontario et en Colombie-Britannique il y a deux semaines à peine. Et, pour l’instant en tout cas, la seule province où ils pourraient faire des gains significatifs est le Québec.

Il faut donc s’attendre à voir Justin Trudeau passer plus de temps que prévu au Québec au cours des trois prochaines semaines. D’autant que le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’est placé dans une position délicate avec ses déclarations récentes sur le troisième lien.

D’abord, il a déçu bon nombre de militants péquistes1 et, dans les faits, la base militante du Parti québécois est, très souvent, la même que celle du Bloc. Se brouiller en pleine campagne électorale avec son parti frère n’est pas la meilleure façon de gagner.

Mais M. Blanchet a également réussi à ressusciter de vieux dossiers qui mettent en cause autant son jugement que ses prétentions écologistes. Les dossiers des forages dans l’île d’Anticosti et de la cimenterie de Port-Daniel – le principal producteur de gaz à effet de serre au Québec qu’il a exempté des audiences du BAPE – ne le montrent pas exactement sous son meilleur jour.

Il est vrai qu’on peut soulever bien des questions sur le dossier du gouvernement Trudeau en matière d’environnement – à commencer par l’achat du pipeline Trans Mountain –, mais les libéraux ne sont pas dans une situation où ils peuvent choisir le terrain de l’affrontement.

La deuxième bataille du Québec est donc enclenchée. Mais pour les libéraux, il est de plus en plus clair qu’on ne se bat plus pour gagner, on se bat pour ne pas perdre.

1 Lisez « Le troisième lien plombe la campagne du Bloc, selon le PQ »