Le discours qui fait reposer les déterminants de la santé sur les épaules des individus hérisse le professeur de bioéthique Bryn Williams-Jones. « À mon avis, le danger, c’est qu’on en fait une question individuelle plutôt que de poser la véritable question : comment se fait-il que certaines personnes de plus en plus aisées vivent plus longtemps alors que l’espérance de vie plafonne et qu’elle est en train de chuter aux États-Unis ? »

Selon le directeur du département de médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, les véritables facteurs qui ont une influence sur la longévité se trouvent ailleurs : « Ce sont des trucs de base comme l’eau potable, la contamination de l’environnement, l’urbanisme, etc. », avance le professeur Williams-Jones.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE BRYN WILLIAMS-JONES

Bryn Williams-Jones, directeur du département de médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Une personne peut bien faire ses devoirs en voulant bien manger et faire de l’exercice, mais si tu vis dans un quartier défavorisé, que tu as une job de merde et que tu n’as pas accès à une alimentation de qualité parce que ton épicerie, c’est le dépanneur, on ne peut plus parler d’un choix individuel.

Bryn Williams-Jones, directeur du département de médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Les statistiques lui donnent raison. L’espérance de vie au Canada, par exemple, « varie selon le groupe de personnes et le statut socioéconomique », souligne Statistique Canada dans une étude sur la mortalité chez les adultes noirs publiée l’an dernier.

« Il y a un paradoxe entre le discours très technologisant sur la longévité et le recul des investissements en santé publique, ajoute Virginie Manus, doctorante en bioéthique et membre de l’équipe dirigée par le professeur Williams-Jones. On est dans des promesses transhumanistes, mais la santé publique demeure l’enfant pauvre du système médical. »

« On ne lira jamais : “Tant de gens n’ont PAS chuté sur le trottoir aujourd’hui parce que les trottoirs étaient déneigés”, renchérit le professeur Williams-Jones. La prévention, ça se vend mal, car on ne peut pas la mesurer. Ça n’intéresse pas les politiciens. Pourtant, si on améliore la qualité des trottoirs, tout le monde gagne. »

« C’est triste d’opposer le curatif et le préventif, ajoute Virginie Manus. Les meilleurs systèmes de santé sont ceux qui réconcilient les deux. »

Un autre rapport au temps

Dans un contexte où les médecins sont aussi des entrepreneurs payés à l’acte, on peut se demander quel est leur intérêt à faire de la prévention et outiller leurs patients afin qu’ils vieillissent en santé. Or, le professeur Williams-Jones observe un changement d’attitude chez les plus jeunes. « Il y a un ras-le-bol du modèle actuel, affirme le professeur de bioéthique. C’est déprimant pour ces jeunes médecins de voir revenir le même patient et de constater que son état ne s’est pas amélioré. Alors ils se tournent vers un autre genre de prescription. »

Au lieu d’une pilule, le médecin recommande donc d’aller jouer dehors, de manger mieux, etc. C’est ce qu’on appelle « la prescription nature », de plus en plus répandue. « L’acte d’ordonnance est toujours là, précise le professeur Williams-Jones, car il comporte une autorité morale qui peut faire une différence chez certains patients qui auront tendance à “obéir” à la recommandation parce qu’elle vient d’un médecin. »

Mais au-delà des régimes de vie et de tous ces bouquins pour vieillir en santé, c’est tout le rapport à la vieillesse qui est à repenser, selon les deux chercheurs. L’âgisme est un « fléau mondial » reconnu par l’Organisation mondiale de la santé en 2021. « On va tous y passer, souligne Virginie Manus. C’est important de préserver son autonomie le plus longtemps possible. Cela dit, le corps vieillit et il faut aussi accepter que les choses soient plus lentes, qu’on n’est plus dans le même temps. Pourquoi vouloir rester à tout prix dans la même dynamique que lorsqu’on avait 40 ans et qu’on était super productif ? »