Les auteurs s’adressent au public à la suite de la parution d’un dossier de La Presse1 portant sur des opinions médicales émises dans la situation de la mort d’un jeune enfant

Malheureusement, la maltraitance envers les enfants existe dans notre société. La hausse des signalements aux services de protection de la jeunesse et les cas tragiques rapportés par les médias nous le rappellent régulièrement⁠2. Cette réalité, toujours difficile à admettre, l’est d’autant plus que nous savons que la violence faite aux enfants a lieu principalement au sein des familles.

Il est de notre devoir, comme société, de nous pourvoir de tous les moyens nécessaires pour identifier, prendre en charge et tenter de prévenir toutes les formes de maltraitance envers les enfants. De celles-ci, les blessures infligées à la tête de bébés sont parmi les plus sérieuses et peuvent entraîner des handicaps permanents ou même la mort.

Depuis 2020, l’appellation « trauma crânien causé par la maltraitance des enfants » (TC-ME) a été adoptée par la communauté scientifique canadienne en remplacement des termes « syndrome du bébé secoué » et « traumatisme crânien non accidentel ». Cette terminologie vise à mettre en lumière la distinction entre le diagnostic médical le plus probable (trauma crânien) et l’opinion sur la cause des blessures (maltraitance) qui ne peut être émise qu’après une démarche interdisciplinaire complète.

Le rôle du médecin dans ce processus est d’évaluer les signes et symptômes des enfants qui pourraient avoir été maltraités en considérant un large éventail de maladies pouvant expliquer les blessures ainsi que les informations rapportées par les familles et les professionnels impliqués. Selon son code de déontologie, le médecin est tenu d’« élaborer son diagnostic avec la plus grande attention, en utilisant les méthodes scientifiques les plus appropriées et, si nécessaire, en recourant aux conseils les plus éclairés ». Il appartient cependant aux services de protection de la jeunesse et au secteur juridique de procéder à leur enquête afin d’explorer tous les mécanismes pouvant être mis en cause. Le diagnostic final de TC-ME ne relève donc pas seulement des médecins ; il est fondé sur une combinaison de renseignements provenant de ces trois secteurs.

Comme problème médical, le TC-ME ne fait aucun doute. Il existe un large consensus au sein de la communauté scientifique quant à sa nature et ses conséquences potentielles.

Soyons clairs : aucune donnée probante ne permet d’affirmer ni même de suggérer qu’il existe un phénomène de « surdiagnostic de bébé secoué » au Québec.

Au contraire, au vu de la présentation clinique variable des bébés possiblement atteints ainsi que de l’absence fréquente de divulgation des mécanismes traumatiques, il paraît même probable que les statistiques minimisent la réelle ampleur du problème⁠2, 3.

Hypothèses diagnostiques non reconnues

Dans les dernières années, le recours à des normes médicales peu ou pas reconnues (théories alternatives) est un phénomène qui prend de l’ampleur en science. La maltraitance des enfants n’y échappe pas. Certains médecins peuvent parfois aller jusqu’à proposer des hypothèses diagnostiques non reconnues par les sociétés savantes, ce qui est contraire au guide d’exercice de la médecine d’expertise du Collège des médecins du Québec.

Dans le système actuel, il appartient au tribunal de soupeser la crédibilité des informations reçues ainsi que d’évaluer les qualifications et la démarche de chaque professionnel impliqué.

En tant qu’Association des médecins en protection de l’enfance du Québec (AMPEQ), nous avons décidé de prendre la parole aujourd’hui afin de témoigner de la complexité des enjeux en pédiatrie de la maltraitance. Notre association a vu le jour précisément pour répondre aux défis inhérents à ce type de pratique médicale. Elle nous permet le partage des connaissances scientifiques en évolution ainsi que l’échange et la révision entre pairs. Nous sommes conscients de la grande responsabilité qui est la nôtre et tentons de travailler avec la rigueur, l’humilité et le respect que requiert un sujet aussi sensible.

Malgré notre inconfort collectif, la reconnaissance et la prévention de la maltraitance demeurent l’affaire de tous. Gardons en tête l’essence des recommandations de la commission Laurent qui nous incite à « instaurer une société bienveillante pour nos enfants » afin de prévenir de nouveaux drames⁠4. Pour ce faire, la population du Québec peut compter sur l’expertise et l’engagement de ses médecins.

* Cosignataires : les membres du comité exécutif de l’Association des médecins en protection de l’enfance du Québec (AMPEQ). Clara Low-Décarie et Francis Livernoche sont tous deux professeurs adjoints de pédiatrie à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.

1. Lisez « Syndrome du bébé secoué : une famille déchirée » 2. Lisez « DPJ : un enfant sur cinq signalé au cours de sa vie » 3. Lisez « Consensus statement on abusive head trauma : additional endorsements » (en anglais) 4. Consultez le rapport de la commission Laurent Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue