Il n’y a pas de surdiagnostic de « syndrome du bébé secoué », ou trauma crânien causé par la maltraitance des enfants (TC-ME) au Québec, assurent deux pédiatres en maltraitance. Elles expliquent la « rigueur » et la « minutie » accordée au processus. Lundi, La Presse a raconté l’histoire d’un père accusé d’avoir secoué son bébé à mort qui poursuit des médecins et des policiers après l’arrêt du processus judiciaire contre lui.

Un neurologue de l’Hôpital de Montréal pour enfants a affirmé lundi dans nos pages que des parents sont accusés à tort à cause d’un surdiagnostic du « syndrome du bébé secoué ». Estimez-vous qu’il y ait un surdiagnostic ?

Non, répondent d’emblée les deux pédiatres. « Ces situations-là font l’objet d’une évaluation minutieuse, rigoureuse, où on va réfléchir à toutes les possibilités, explorer toutes les autres avenues, dit la Dre Karine Pépin, pédiatre en maltraitance à l’hôpital Sainte-Justine et professeure associée à l’Université de Montréal. Il y a une démarche rationnelle qui existe. Je ne vois pas qu’on saute aux conclusions ou qu’on se précipite sur ce diagnostic. »

La Dre Clara Low-Décarie, professeure associée et pédiatre pratiquant en maltraitance au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, évoque plutôt un sous-diagnostic des cas de maltraitance. « On estime au Québec qu’entre 2,5 % et 3,5 % de la population pédiatrique va faire l’objet d’un signalement retenu à la DPJ. Mais quand on fait des enquêtes populationnelles où on s’assoit avec des adultes pour les questionner par rapport à leur vécu dans l’enfance, entre 25 % et 35 % vont dire avoir vécu une forme de maltraitance », dit-elle en citant notamment une étude canadienne. « Nos statistiques officielles ne font pas état de l’ampleur de la situation. »

Combien de cas de trauma crânien causé par la maltraitance des enfants voyez-vous dans le cadre de votre pratique ? Ont-ils tous la même gravité ?

De deux à huit cas par an passent par l’hôpital Sainte-Justine, selon la Dre Pépin. Il y en a au moins un par année à Sherbrooke, généralement entre un et cinq, dit la Dre Low-Décarie. Si toutes les agressions n’ont pas les mêmes conséquences pour les petites victimes, le taux de mortalité du TC-ME est parmi les plus élevés en pédiatrie, soulignent les deux médecins. Environ 15 à 20 % des bébés vont en mourir. Des survivants, une portion des enfants « sont bien, semblent de retour à la normale » au congé de l’hôpital, dit la Dre Pépin, ce qui n’exclut pas qu’ils souffrent plus tard de séquelles développementales. L’autre groupe est lourdement hypothéqué, pouvant « avoir des difficultés motrices, être paralysé d’un côté, avoir des difficultés à s’alimenter, perdre la vue, perdre l’audition, avoir de l’épilepsie… »

Comment se pose le diagnostic de trauma crânien causé par la maltraitance des enfants ?

En plusieurs étapes, répondent les médecins.

D’abord médicalement, le diagnostic se pose de la même manière que pour tout autre problème de santé, indique la Dre Karine Pépin. « On fait une évaluation comme n’importe quel médecin. On va rencontrer l’enfant et sa famille. On va prendre une histoire médicale minutieuse. On va bien comprendre les symptômes. Est-ce qu’il y a des évènements qui pourraient avoir causé des blessures ? Est-ce que cet enfant a une maladie ? Est-ce qu’il peut avoir une infection ? Une malformation ? On va demander des examens. Régulièrement, on va avoir besoin de l’aide de spécialistes. » Le diagnostic de TC-ME n’est jamais posé « par défaut », assure la Dre Pépin. « On ne saute pas aux conclusions. Mais il faut aussi avoir l’honnêteté de demander : est-ce que c’est possible que quelque chose d’infligé soit survenu ? Quand on a ce doute raisonnable, la loi nous oblige à transmettre l’information à la DPJ. »

Une fois cette étape passée commence la démarche vers un « diagnostic » plus judiciaire, qui sera posé par le tribunal au terme de l’enquête de la DPJ et de la police. « En bout de ligne, c’est la Cour qui va décider le contexte dans lequel ce trauma est survenu, dit la Dre Low-Décarie. C’est un processus qui est long. Le médecin peut quand même dire [qu’un cas] soulève des inquiétudes, que c’est possible, que c’est probable. Mais le diagnostic final devrait arriver à la fin d’un processus multidisciplinaire. »

Comment abordez-vous le sujet avec les familles ?

« On est conscients qu’on lâche une bombe. On essaie d’être transparents et respectueux. Parce que la seule façon de rendre aux parents un peu du pouvoir qui se dérobe, c’est de jouer cartes sur table. De leur dire : dans toutes les possibilités qu’on évoque, c’en est une. Je ne veux pas vous le dire dans deux semaines quand la police va débarquer chez vous. Je vous le dis maintenant », explique Clara Low-Décarie. « C’est important que les familles, les parents, comme dans toute autre situation, aient toutes les informations pour comprendre la situation de leur enfant et prendre des décisions appropriées », ajoute sa collègue

Ce sont des conversations « difficiles » et « émotives », qui entraînent toutes sortes de réactions : la peine, la colère, même le soulagement. « Un soulagement de parler de l’éléphant dans la pièce, dit Karine Pépin. Des fois, les gens ont senti qu’il y a cette suspicion-là. Et des fois, eux aussi ont des inquiétudes par rapport à de la maltraitance et il y a un soulagement qu’on puisse parler des choses difficiles. »