Si quelqu’un larguait une bombe sur le Canada qui tuait 2800 personnes, envoyait 13 000 Canadiens à l’hôpital et causait des dommages de 300 millions de dollars, le pays prendrait certainement les choses au sérieux et préparerait une riposte digne de ce nom.

Or, une telle bombe est tombée. Elle s’appelle la mésinformation.

Les chiffres mentionnés plus haut proviennent d’un rapport d’experts du Conseil des académies canadiennes qui se sont penchés sur les conséquences de l’hésitation vaccinale pendant neuf mois de la pandémie, entre mars et novembre 2021.

À ce moment, les vaccins contre la COVID-19 étaient offerts au pays. Mais les fausses informations qui circulaient ont empêché ou retardé la vaccination de plus de 2 millions de Canadiens.

Résultat : des hospitalisations, des morts, des coûts pour le système de santé qui se comptent en centaines de millions de dollars1.

Il est rare que l’on réussisse à quantifier ainsi les impacts de la mésinformation – un terme qui englobe autant les fausses informations propagées délibérément que celles véhiculées par inadvertance.

L’ampleur des chiffres doit nous faire réagir.

Surtout qu’ils ne représentent que la pointe de l’iceberg. L’étude du Conseil des académies canadiennes ne concerne qu’un sujet précis – l’hésitation vaccinale – pendant une période très circonscrite. Et elle n’en évalue que les coûts directs. Les retards dans les opérations provoqués par les hospitalisations évitables, par exemple, ne sont même pas comptabilisés.

Or, de fausses informations sur toutes sortes de sujets circulent abondamment, amenant les individus à faire de mauvais choix, exacerbant le clivage des discours et compliquant les interventions publiques.

Que faisons-nous contre cette menace ? Compte tenu de ses impacts, vraiment pas assez.

La lutte doit se dérouler en deux temps.

Le premier implique un travail de longue haleine. Si la mésinformation fait mouche, c’est en grande partie parce qu’une trop grande part des citoyens a perdu confiance dans les institutions comme les gouvernements et les médias.

Cette perte de confiance n’est pas toujours rationnelle. Il reste qu’un travail d’introspection s’impose. On voit trop souvent les politiciens attiser les divisions pour des raisons partisanes, un réflexe extrêmement dangereux. Même chose quand les médias choisissent de miser sur la polarisation et de laisser tomber les nuances.

La solution passe aussi par l’éducation, en premier lieu à l’école.

À plus court terme, il faut effectuer un travail ingrat et difficile : descendre dans les tranchées et combattre les fausses informations.

Certains le font avec brio, du Détecteur de rumeurs de l’Agence Science-Presse aux « vérifications des faits » de La Presse en passant par les Décrypteurs de Radio-Canada. Mais malgré le rôle crucial qu’ils jouent, les grands médias ne rejoignent malheureusement pas la frange la plus radicale des mal informés.

Depuis le début de la pandémie, l’un de ceux qui combattent la mésinformation avec le plus d’efficacité est Mathieu Nadeau-Vallée. Surnommé le « doc de TikTok », il intervient sur les réseaux sociaux et y combat les faussetés par les faits, encaissant les coups qui pleuvent invariablement quand on fréquente de tels terrains.

Mathieu Nadeau-Vallée est un électron libre, ce qui lui donne l’avantage de ne pas être associé aux institutions frappées par la perte de confiance. Mais cette indépendance vient avec un revers : même si sa page Facebook est gérée par une équipe de bénévoles, il reste un étudiant en médecine qui fait ce qu’il peut pendant ses temps libres.

Face aux algorithmes conçus pour favoriser la propagation des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, le combat est donc bien inégal.

Ce qui se rapproche le plus d’un effort concerté est l’initiative La Science d’Abord, de l’Association canadienne des centres de sciences.

On y trouve des capsules facilement partageables sur les réseaux sociaux tant en français qu’en anglais – certaines sont même traduites en farsi, en hindi et en d’autres langues.

COVID-19, environnement, vaccins, santé mentale : les sujets abordés sont nombreux et le contenu scientifique est révisé par un groupe d’experts. L’initiative implique de nombreuses organisations dont les Instituts de recherche en santé du Canada, principal organisme subventionnaire fédéral de la recherche en santé2.

Voilà exactement le genre d’initiative qui doit recevoir plus de soutien et de diffusion.

Le rapport montre aussi qu’il existe toute une science sur ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins quand vient le temps de rectifier les faits et de convaincre des gens. Cette science a aussi grand besoin d’être mieux connue et diffusée.

Il n’y a pas une réponse unique à la mésinformation. Mais la lutte doit être menée avec plus de moyens et de façon mieux coordonnée qu’actuellement.

Comme l’affirme avec justesse le président du comité d’experts Alex Himelfarb dans l’introduction du rapport, on ne peut espérer venir à bout des énormes défis qu’affrontent nos sociétés si on ne parvient même pas à s’entendre sur ce qui se passe.

1. Consultez le rapport du Conseil des académies canadiennes 2. Consultez le site LaSciencedAbord Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion