(Ottawa) Le gouvernement fédéral a signé un contrat ouvert jusqu’en 2100 avec McKinsey pour des services informatiques. L’information a fait surface au premier jour de l’enquête en comité parlementaire sur la centaine de millions de dollars en contrats accordés à la firme de consultants par le gouvernement fédéral.

Ce qu'il faut savoir

  • Sept organismes fédéraux ont déboursé 62 millions de dollars entre mars 2021 et novembre 2022 pour divers contrats accordés à la firme de consultants McKinsey ;
  • Des ministres fédéraux et des dirigeants de la firme de consultants McKinsey doivent s’expliquer devant les élus du comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires ;
  • En 2021, le gouvernement Legault a fait appel à la firme de consultants pour obtenir des services-conseils en matière de relance économique post-pandémie ;
  • Durant les premiers mois de la pandémie, McKinsey recevait 35 000 $ par jour pour conseiller le gouvernement du Québec.

« Qu’est-ce qui justifie un contrat ouvert pendant les 81 prochaines années ? », a demandé la députée du Bloc québécois Julie Vignola, s’étonnant que le gouvernement ne puisse pas embaucher ses propres spécialistes sur une si longue période.

Elle questionnait alors la professeure en administration publique Amanda Clarke, de l’Université Carleton, qui a longuement étudié le processus d’approvisionnement au gouvernement fédéral.

« Cette idée d’avoir des contrats ouverts sur 81 ans semble scandaleuse, a-t-elle répondu. Je pense que c’est là où il faut se demander à quoi ça sert d’avoir une fonction publique. »

Le contrat accessible en ligne a été attribué le 31 août 2019 et doit prendre fin le 31 janvier 2100. La fiche ne précise pas quel montant le gouvernement doit débourser. Il est plutôt écrit qu’il s’agit d’un contrat de 0 $ pour des services professionnels en informatique.

Le gouvernement est dans la tourmente depuis le début de l’année après que ses contrats avec la firme McKinsey ont de nouveau fait les manchettes. Le montant total atteint 104,6 millions pour 24 contrats attribués depuis 2015. Les trois principaux partis de l’opposition veulent forcer le gouvernement à dévoiler l’entièreté des documents.

Selon la professeure Clarke, ce genre de contrat remet en cause un principe au cœur du Statut de Westminster, celui d’une fonction publique neutre, axée sur le mérite et qui est en mesure de servir le gouvernement, peu importe le parti au pouvoir.

Elle a avancé que le gouvernement a probablement signé un tel contrat pour aller plus rapidement au lieu de devoir chaque fois faire un nouvel appel d’offres. « C’est un processus compliqué », a-t-elle conclu.

La députée de Beauport–Limoilou a tenté de savoir combien ce contrat de 81 ans allait coûter aux contribuables. Le conseiller principal en politiques pour le Conseil du Trésor, Sean Boots, s’est fait couper par le président du comité avant qu’il ne puisse répondre et devra envoyer sa réponse par écrit.

Enjeu de transparence

La présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, un syndicat qui représente 72 000 membres, a tiré la sonnette d’alarme. « Ça fait des années que le gouvernement s’appuie sur de la coûteuse sous-traitance, a constaté sa présidente, Jennifer Carr. McKinsey en est seulement le plus récent exemple. »

Elle a affirmé que cette sous-traitance met en péril la sécurité des systèmes informatiques du gouvernement, en plus d’être moins transparente et de nuire à la reddition de comptes.

Les conservateurs ont soulevé les liens entre la firme de consultants et la crise des opioïdes. La firme a également dû verser près de 600 millions à 47 États américains pour avoir aidé des sociétés pharmaceutiques à stimuler la vente de ces psychotropes.

Outre les enjeux de coûts, d’attribution de contrats et de transparence, le recours à McKinsey soulève celui de l’augmentation des seuils d’immigration.

Le Bloc québécois s’inquiète des liens entre le groupe de pression Century Initiative, qui préconise des politiques publiques pour augmenter la population canadienne à 100 millions de personnes d’ici 2100, et le cabinet-conseil.

Son cofondateur est Dominic Barton, qui était le grand patron de McKinsey jusqu’en 2018. Un an plus tard, il était nommé ambassadeur du Canada en Chine, poste qu’il a occupé jusqu’en 2021. Il doit témoigner en comité parlementaire mercredi.

La firme McKinsey estime que son « travail auprès du gouvernement canadien est entièrement non partisan » et qu’il « se concentre sur des points de gestion fondamentaux, tels que la numérisation et l’amélioration du fonctionnement ».

« Malgré ce qu’on a pu lire ou entendre récemment dans les médias, notre cabinet ne formule aucune recommandation sur les politiques en matière d’immigration ou sur quelque autre sujet que ce soit », avait-elle déclaré le 10 janvier.