C’est Bruce Hood qui doit se retourner dans sa tombe. Célèbre arbitre de la Ligue nationale de hockey, il avait volé à la défense des voyageurs, en 2000, en devenant le tout premier commissaire aux plaintes relatives au transport aérien.

Avec son style coloré, il ne se gênait pas pour étaler dans ses rapports les cauchemars vécus par les passagers... un peu trop au goût des transporteurs, qui ont dû sabler le champagne quand son poste a été supprimé après seulement quelques années.

Aujourd’hui, ce poste fait cruellement défaut.

Plus que jamais, on aurait besoin d’un arbitre avec du mordant pour traiter les plaintes des voyageurs qui atteignent un niveau stratosphérique.

Avec la saga du remboursement des vols annulés lors de la pandémie et la reprise chaotique des voyages l’été dernier, un nombre record de 34 000 plaintes s’empilent sur le bureau de l’Office des transports du Canada (OTC). Et ça ne compte même pas les plaintes qui s’ajouteront avec les déboires vécus durant la période des Fêtes.

Attachez bien votre ceinture : un voyageur doit maintenant patienter 18 mois entre le moment où il soumet son cas à l’OTC et celui où sa plainte est examinée. Ce délai d’attente totalement déraisonnable alimente le cynisme de la population envers un système de traitement des plaintes embourbé jusqu’au cou.

Certains voyageurs lésés se tournent vers les petites créances, ce qui surcharge les tribunaux, tandis que d’autres laissent tomber leur plainte de guerre lasse.

Comme les clients sont obligés de se débattre pour obtenir l’indemnisation à laquelle ils ont droit, les transporteurs aériens peuvent faire la pluie et le beau temps.

C’est d’autant plus vrai que l’OTC ne leur tape pas très fort sur les doigts. Depuis l’entrée en vigueur en 2019 du Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA), qu’on appelle aussi la charte des voyageurs, il a imposé à peine 229 300 $ de sanctions pécuniaires administratives à l’ensemble de l’industrie.

Autant dire rien du tout ! Pour les transporteurs, il est moins coûteux de payer les rares amendes que de se conformer au RPPA.

C’est comme ça qu’on se retrouve avec des passagers coincés sur le tarmac pendant des heures, des voyageurs pris à l’étranger durant des jours, des clients obligés de dormir sur le plancher de l’aéroport... Tout ça dans le plus grand mépris des règles supposément en vigueur.

Jeudi dernier, lors d’une réunion d’urgence du comité permanent des transports à la Chambre des communes, quatre organismes de défense de consommateurs ont dit à l’unisson que la charte des voyageurs est un échec.

Les voyageurs méritent mieux. Ils ont droit à un véritable arbitre.

Ottawa devrait créer un organisme qui se consacre entièrement aux plaintes des voyageurs. Un organisme terre à terre et agile, bien connu de tous et facilement accessible au grand public.

Dans les télécoms, les consommateurs lésés peuvent s’adresser au Commissaire aux plaintes relatives aux services de télécommunications (CPRST). Dans les services financiers, les clients peuvent cogner à la porte de l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement (OSBI) même si le gouvernement Harper lui a malheureusement coupé les ailes.

En toute logique, le secteur du transport, véritable bête noire des consommateurs, devrait aussi avoir un service de traitement des plaintes digne de ce nom, que ce soit un ombudsman ou un commissaire. L’important, c’est que l’organisme soit doté d’un conseil d’administration réellement indépendant, à l’abri du lobby du transport, et qu’il ait les moyens d’agir.

Car il est là aussi, le problème. En ce moment, l’OTC manque de financement. Lors du lancement de la charte des voyageurs, Ottawa lui avait accordé un budget additionnel pour gérer les nouvelles plaintes. Une enveloppe spéciale de 11 millions a été reconduite pour l’exercice qui s’achève en mars prochain. Et après ? On reste dans le brouillard. Chose certaine, ce serait pourtant le pire moment pour couper les vivres.

Mais, à elle seule, la création d’un arbitre n’est pas la solution miracle à tous les problèmes. Si on veut assainir l’industrie du transport aérien, il est essentiel de renforcer la charte des voyageurs dont la complexité a de quoi faire perdre le nord au consommateur le plus studieux.

Cette complexité fait en sorte que les voyageurs ne réclament pas leur dû parce qu’ils connaissent mal leurs droits. Et elle laisse trop de latitude aux compagnies aériennes pour se défiler, en jouant sur les zones grises, ce qui complique de manière incroyable l’analyse des plaintes.

Si on veut assainir l’industrie, il faut aussi des sanctions sérieuses. Il faut que l’arbitre ait un vrai sifflet. Et qu’il s’en serve... comme Bruce Hood, lors du tristement célèbre match Canadien-Nordiques du Vendredi saint, en 1984. Les bagarres épiques avaient mené à 11 expulsions de joueurs et à 252 minutes de pénalité, rien de moins.

On a besoin d’un tel rappel à l’ordre dans le transport aérien. À Ottawa d’y voir au plus vite.