Avec le ton qu’on réserve aux ados avant de les envoyer réfléchir dans leur chambre, le premier ministre François Legault a solennellement averti ses concitoyens qu’il leur fallait « changer d’attitude » vis-à-vis des politiques économiques et énergétiques de son gouvernement.

Ça vaut la peine de citer son intervention de jeudi matin : « Il faut vraiment changer d’attitude au Québec. Donc, oui, faut trouver des moyens d’économiser de l’électricité, que ça soit les transports en commun, que ce soit l’efficacité énergétique. Il faut essayer de consommer moins d’électricité. Oui, il faut construire de l’éolien, mais on ne s’en sortira pas, là, ça va prendre plus de barrages puis ça va prendre des usines, de l’économie verte comme Northvolt, comme GM, comme Ford, comme d’autres projets. »

Les Québécois auraient donc un problème d’attitude. Le premier ministre reprenait dans d’autres mots ce que son ministre Pierre Fitzgibbon disait le mois dernier en parlant de la « judiciarisation du dossier Northvolt » et du message que cela envoyait aux investisseurs étrangers. « Ma crainte, c’est qu’on touche à la crédibilité du Québec », disait le ministre.

En fait, on s’inquiète beaucoup au gouvernement que des citoyens contestent un projet qui lui tient à cœur. C’est au point que le gouvernement prétend que l’examen du Bureau des audiences publiques en environnement n’est pas nécessaire à ce stade-ci du projet.

Il y a plusieurs problèmes avec cette attitude du gouvernement. D’abord, dans un État de droit, on ne peut blâmer des citoyens qui veulent exercer un recours qui leur est permis par la loi.

Mais surtout, le gouvernement ne peut ignorer qu’il semble y avoir eu traitement de faveur à l’égard de Northvolt, pour qui on aurait fait un changement sur mesure des critères exigeant la tenue d’audiences du BAPE.

En février dernier, le seuil pour déclencher un examen du BAPE pour la fabrication de cathodes est passé de 50 000 à 60 000 tonnes. Or, selon nos collègues de Radio-Canada, la future usine en produira 56 000. Du « sur-mesure » obtenu après des contacts avec Northvolt.

Depuis, plusieurs acteurs de la société civile et d’anciens commissaires au BAPE ont dénoncé la situation, estimant qu’il s’agissait d’une régression inacceptable sur les principes mêmes sur lesquels repose la création de l’organisme gouvernemental.

Qui plus est, les gouvernements ont investi des sommes considérables dans Northvolt que ce soit par subventions ou prises de participation par des entités comme la Caisse de dépôt. Le gouvernement du Québec, en particulier, se retrouve juge et partie dans ce dossier.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation à McMasterville réclamant une étude du BAPE sur le projet de construction de l’usine de Northvolt, le 2 février dernier

Dans les circonstances, il est un peu délicat pour un premier ministre de dire aux citoyens qui veulent faire respecter l’État de droit « de changer d’attitude » quand leur gouvernement, lui, ne semble pas trop s’en soucier.

D’autant que des audiences publiques permettraient de répondre à certaines objections légitimes sur le projet Northvolt. Il y a maintenant un problème d’acceptabilité sociale, pas parce que c’est en soi un mauvais projet, mais parce qu’il y a trop de questions sans réponses de la part du gouvernement pour qui la cause était déjà entendue avant même son annonce. Sur ce point, le gouvernement Legault ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

Mais on notera aussi que, dans ce même point de presse, le premier ministre a répété que sa vision du développement économique n’avait pas changé : l’économie d’énergie ne suffira pas. Il faudra plus de barrages, plus d’usines, dont celles de Ford et de GM – qui deviennent soudainement, dans la bouche du premier ministre, des piliers de l’économie verte.

Bref, on en revient au Dollarama de l’énergie que craignait tant Sophie Brochu durant son trop bref mandat à la tête d’Hydro-Québec : une économie et un développement basés sur de plus en plus de production d’électricité, quels qu’en soient les moyens.

Un modèle tiré tout droit des années 1970, alors que l’on attirait des entreprises énergivores, quitte à bâtir toujours plus de barrages.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, il a fallu que tout cela se produise dans une semaine où le gouvernement de la CAQ n’a pas réussi à se débarrasser du problème des cocktails de financement où il fallait payer pour rencontrer des ministres. Même pour une famille endeuillée qui voulait parler de l’alcool au volant avec la ministre des Transports.

Une semaine après avoir voulu mettre toute cette affaire derrière lui en renonçant au financement populaire et en mettant ses adversaires au défi de faire de même, le premier ministre Legault se retrouve dans la situation qu’il voulait éviter : on parle toujours des cocktails de la CAQ.

C’est un cercle vicieux : plus on en parle, plus il devient difficile de penser qu’il n’y a pas eu un mot d’ordre informel ou un quelconque système visant à financer le parti en monnayant, directement ou indirectement, l’accès aux ministres au profit de la caisse électorale de la CAQ.

Dans les circonstances, on peut se demander qui aurait le plus besoin de changer d’attitude…

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