Il est de bon ton, quand on parle de financement politique, de citer René Lévesque. Il est vrai que l’un des héritages les plus précieux de l’ancien premier ministre est le ménage qu’il a fait dans les caisses électorales occultes et l’instauration du financement populaire des élections.

François Legault s’est présenté à la salle de presse de l’Assemblée nationale, il y a quelques jours, en disant qu’il allait « compléter l’œuvre de René Lévesque » en mettant fin au financement populaire de son parti et en mettant les autres partis au défi de le faire eux aussi.

Mais n’est pas René Lévesque qui veut. Parce qu’en réalité, ce que M. Legault propose aurait exactement l’effet inverse : il se trouverait à saborder le principe même du financement populaire.

Il était bien connu que René Lévesque faisait de l’urticaire à la simple mention des caisses électorales occultes, où les partis ramassaient des sommes importantes, sans qu’on sache qui avait donné et combien.

Il a fondé le Parti québécois en l’astreignant à des conditions strictes en matière de financement. Le parti aurait un financement populaire et démocratique. Les dons ne viendraient plus que des citoyens et seraient limités et publics. Le PQ promettait que cela deviendrait la loi quand il prendrait le pouvoir.

Élu sur ce mandat en 1976, il a fait du financement populaire le projet de loi numéro 2 de son gouvernement. Pour la petite histoire, le numéro 1 allait devenir la loi 101, à la suite d’une manœuvre procédurale que M. Lévesque avait qualifiée de « pas la trouvaille du siècle ».

Pour le Parti québécois, ce n’était pas seulement une question d’argent. L’obligation pour la formation politique de tenir une campagne de financement annuelle voulait dire que le parti irait voir tous ses membres, on ne parlerait pas seulement de cents, mais aussi de politique.

Le parti appartenait à ses membres, et leurs contributions, comme leurs idées, faisaient vivre le parti.

Au financement populaire s’ajoutait l’idée que le programme du parti ne serait pas rédigé en catimini par une quelconque commission politique à quelques semaines des élections. Le programme serait voté par les membres en congrès, qui était précédé d’assemblées dans chacune des circonscriptions.

René Lévesque a certainement regretté certains aspects de cette démocratie interne quand son parti a pris des positions qu’il n’approuvait pas, mais il savait que c’était le prix à payer pour avoir un parti ouvert et démocratique en santé.

PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE

René Lévesque, en 1976

Presque un demi-siècle plus tard, François Legault s’est présenté devant les journalistes après une mauvaise rentrée parlementaire pour annoncer qu’il allait désormais se passer du financement populaire et qu’il demandait aux autres partis de le suivre.

Or, en agissant de la sorte, François Legault a violé une règle non écrite, mais fondamentale : on ne change pas unilatéralement les lois et pratiques qui régissent le jeu politique, comme le financement des partis, sans avoir obtenu un consensus de l’Assemblée nationale.

Habitué à toujours avoir le dernier mot dans son parti qui ne brille pas vraiment avec les débats d’idées, le premier ministre Legault a pensé qu’il pourrait faire la même chose avec l’Assemblée nationale. Grosse erreur.

D’abord, on ne change pas les règles du jeu démocratique juste pour se sortir d’une mauvaise semaine de rentrée parlementaire. L’improvisation était évidente et ressemblait un peu trop à son revirement sur le troisième lien au lendemain de la défaite dans la partielle de Jean-Talon.

Même s’il est vrai qu’on n’achète pas un ministre pour 100 $, il est tout aussi vrai que la CAQ a fait en sorte que le meilleur moyen de rencontrer un ministre était de faire une contribution de 100 $. On a carrément monnayé l’accès aux ministres. 

Quand on voit que la moitié des maires et préfets du Québec ont dû contribuer à la CAQ depuis 20211, on doit conclure qu’on est devant un système bien organisé. Et inacceptable en démocratie. 

Mais surtout, ce que fait François Legault en renonçant au financement populaire, c’est d’obliger l’État – et lui seul – à financer les partis politiques, comme si les citoyens n’avaient rien à voir là-dedans. Drôle de conception de la démocratie et ce n’était vraiment pas celle de René Lévesque.

D’autant que de se fier uniquement au financement public a des effets pervers qui, comme par hasard, favorisent toujours le parti au pouvoir, le financement étant donné en fonction du nombre de votes reçus. Les partis qui comptent sur les dons de leurs membres, comme le PQ, seraient grandement désavantagés. Sans compter les difficultés supplémentaires que cela impose à ceux qui voudraient fonder un nouveau parti.

Mais le plus triste dans tout cela, c’est de voir que le premier ministre pense qu’après trois journées un peu difficiles pour son parti, il peut décider sur un coup de tête et sans consultation qu’il va changer des règles démocratiques fondamentales et qui affectent tous les partis politiques. 

Ça, René Lévesque ne l’aurait jamais toléré.

1. Lisez l’article « Des maires ont donné près de 100 000 $ depuis 2021 » de La Presse Canadienne Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue