(Québec) Mettre fin au financement populaire des partis politiques comme le suggère François Legault nuirait à la démocratie municipale, selon les présidents des deux grandes associations de municipalités du Québec.

Ils ont eux-mêmes contribué au financement de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Le président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), Martin Damphousse, et son homologue à la tête de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), Jacques Demers, ont réagi à l’idée de renoncer au financement populaire, lancée par le chef caquiste jeudi, et même de faire des changements législatifs en ce sens.

La CAQ est ébranlée depuis deux semaines par les controverses sur ses méthodes de collecte de fonds : l’opposition accuse des députés caquistes d’avoir fait miroiter l’accès à des ministres en échange d’un don de 100 $ au parti, comme le suggèrent des messages obtenus par La Presse Canadienne.

MM. Damphousse et Demers ne voient pas d’inconvénient à ce qu’un conseiller, un maire ou un citoyen contribue à la caisse d’un parti.

« On dévie du vrai sujet, […] ce n’est pas le financement populaire qui est problématique », a déclaré M. Demers en entrevue avec La Presse Canadienne.

Les dons des particuliers sont « absolument nécessaires » pour que les nouveaux candidats sur la scène municipale puissent se faire connaître, « sinon, les vieux partis et les candidats en place auront un avantage stratégique majeur », a plaidé M. Damphousse, qui est aussi maire de Varennes.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le président de l’Union des municipalités du Québec, Martin Damphousse

« Tout le monde est unanime sur ça », a-t-il assuré.

Si près de la moitié des maires cotisent à la caisse caquiste, comme le révélait un reportage de La Presse Canadienne, ce n’est pas parce qu’ils ont du mal autrement à rencontrer un ministre, là n’est pas le problème, soutient M. Damphousse.

« Je n’ai jamais eu de problème d’accès, a-t-il assuré. Je n’ai jamais eu besoin de cotiser à la caisse d’un parti pour rencontrer un ministre. »

Le problème, c’est plutôt le libellé des sollicitations caquistes qui est « malhabile », déplore-t-il – ce qu’a même reconnu la CAQ en assurant néanmoins qu’elle n’avait rien commis d’illégal.

On ne peut faire miroiter un privilège en appâtant les élus municipaux avec un ministre dans un cocktail de financement – la loi interdit de contribuer à un parti dans l’intention d’obtenir une contrepartie.

« Des maires ressentaient un malaise en pensant qu’ils devaient payer pour rencontrer un ministre », a poursuivi M. Demers, qui est maire de Sainte-Catherine-de-Hatley.

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Le président de la Fédération québécoise des municipalités, Jacques Demers

Il ne faut pas qu’il y ait une impression qu’on a à payer pour rencontrer un ministre afin de faire avancer un dossier.

Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités

On n’obtient pas de privilège en finançant ou en participant à une activité de financement, a insisté M. Damphousse.

« Par contre, est-ce qu’il y a plein d’élus [municipaux] qui en profitent [en allant à des cocktails de financement] pour se faire connaître et faire avancer des dossiers qui sont importants pour eux, c’est parfait pour eux, il n’y a pas de risque à ça », a-t-il néanmoins ajouté.

Le ministre Bernard Drainville a reconnu la semaine dernière que des élus municipaux discutaient avec lui de leurs dossiers lors des activités de financement, alors que la directrice générale de la CAQ affirmait plutôt que les échanges entre le ministre et les maires étaient de l’ordre de la conversation brève, du « saupoudrage ».

M. Demers estime que les élus municipaux prennent part aux activités de financement de leur député parce qu’ils veulent savoir ce que va faire le gouvernement pour leur municipalité.

Les présidents de l’UMQ et de la FQM ont tous deux contribué à la CAQ.

Ce sont eux qui, à titre de représentants de l’ensemble des municipalités du Québec, ont négocié le tout dernier pacte fiscal signé l’automne dernier avec le gouvernement caquiste.

Est-ce que cela peut nuire à leur indépendance ou à l’apparence d’impartialité ?

« À mon avis, pas du tout », a répondu M. Damphousse.

« Ce serait incroyable si ce l’était », a aussi rétorqué M. Demers.

M. Damphousse dit ne pas se considérer comme un militant caquiste. Il a voulu contribuer à la campagne de la candidate caquiste et aujourd’hui ministre de la Famille, Suzanne Roy, qui était sa prédécesseure à la tête de l’UMQ.

« C’est ma députée, ma collègue et mon amie personnelle. Ce n’est pas rattaché à des rencontres futures avec des ministres. Cela n’a rien à voir. »

« Non, je ne me considère pas comme un militant caquiste », a répondu aussi M. Demers en disant avoir déjà aussi contribué à la caisse du Parti québécois et du Parti libéral du Québec quand ils étaient au pouvoir.

« J’aime ça entendre ce que ces partis vont faire pour notre comté. Il n’y a aucune obligation pour personne de prendre une carte de membre, ce que je ne fais pas de toute façon. »

M. Damphousse a versé 200 $ à la campagne de Mme Roy en 2022, année électorale où un citoyen a le droit de verser 100 $ supplémentaires en plus du maximum annuel autorisé de 100 $. Il a récidivé avec 100 $ en 2023.

M. Demers a quant à lui versé 100 $ à la caisse caquiste en 2023, mais en 2019 et en 2017, il a donné 100 $ au Parti libéral (PLQ).

Lundi, La Presse Canadienne révélait que 503 des 1138 maires et préfets du Québec avaient contribué à la caisse électorale de la CAQ depuis les dernières élections municipales de 2021, pour un total de près de 100 000 $.

Dans des messages obtenus par La Presse Canadienne, des députés caquistes ont invité des élus municipaux à des cocktails en leur offrant de rencontrer un ministre en échange d’une contribution de 100 $.

Les partis de l’opposition accusent la CAQ d’avoir mis sur pied un stratagème de financement qui cible les élus municipaux, ce que les caquistes ont démenti.

Deux députés caquistes, Sylvain Lévesque et Louis-Charles Thouin, sont visés par une enquête de la commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale, Ariane Mignolet.

Québec solidaire lui a aussi demandé d’enquêter sur deux autres élus caquistes, Gilles Bélanger et Yves Montigny, mais elle a jugé les demandes non recevables.

M. Legault a estimé que les attaques de l’opposition remettaient en cause son intégrité. Contrarié par les révélations, il a annoncé jeudi que son parti allait renoncer aux contributions individuelles des citoyens et a invité ses adversaires des autres partis à faire de même, ce qu’ils ont refusé.

Le chef du gouvernement a même évoqué la possibilité de changer la loi en ce sens, tout en admettant qu’il faudrait l’appui des oppositions pour changer des dispositions législatives qui touchent des règles démocratiques.

Les élus municipaux ont le droit de contribuer au financement des partis, comme n’importe quel citoyen.

Lisez la chronique de Michel C. Auger « N’est pas René Lévesque qui veut »