(Québec) Accusé de monnayer l’accès à ses ministres, François Legault indique que la Coalition avenir Québec (CAQ) renonce dès maintenant aux dons politiques, qui représentent environ 1 million de dollars par année. Et elle « demande aux autres partis de faire la même chose ». Pas question, répondent-ils, reprochant au premier ministre de céder à la « panique ».

Ce qu’il faut savoir

  • L’opposition accuse le gouvernement de monnayer l’accès à ses ministres avec ses pratiques de financement.
  • François Legault annonce que la CAQ renonce aux dons politiques et plaide pour la fin du financement populaire des partis politiques.
  • La Commission des droits de la personne a déjà signalé que l’abolition du financement populaire serait contraire à la liberté d’expression.

C’est l’angle mort de l’annonce de M. Legault : abolir le financement populaire des partis politiques contreviendrait à la liberté d’expression protégée par les chartes, a déjà signalé la Commission des droits de la personne.

Le premier ministre a pris sa décision à la suite d’allégations concernant les méthodes de financement de son parti et la participation de ministres à des cocktails partisans. « Il y a une perception, il y a des doutes actuellement », a-t-il reconnu, tout en disant que son parti respectait les règles.

« Une chose que je ne suis pas capable d’accepter, c’est qu’on remette en question mon intégrité et l’intégrité de mon parti, de nos députés, de notre gouvernement. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus précieux. Donc je vous annonce qu’à partir de maintenant, la CAQ va renoncer au financement privé. Tant qu’il n’y aura pas d’entente avec les autres partis, avec le Directeur général des élections, il n’y aura plus de dons politiques à la CAQ. »

Il a demandé à la directrice générale de son parti, Brigitte Legault, de contacter le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) pour prendre les moyens nécessaires afin que la CAQ ne touche plus de contributions de la part d’électeurs.

La mesure sera en vigueur « d’ici à ce que l’on trouve peut-être une solution » avec les autres partis pour revoir la Loi électorale. Il demande à ses adversaires de lui emboîter le pas. Le Parti québécois (PQ) est la formation qui a récolté le plus de dons politiques durant l’année électorale de 2022, selon le plus récent rapport du DGEQ : 1,6 million, contre 1,4 million pour la CAQ. D’après des données préliminaires du DGEQ pour 2023, la CAQ a reçu environ 827 000 $ en dons contre 793 000 $ pour le PQ.

En Chambre, le premier ministre a souligné à gros traits que le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, avait suggéré l’abolition du financement populaire dans son livre Des jeunes et l’avenir du Québec : les rêveries d’un promeneur solitaire, paru en 2009.

François Legault avance que l’heure est venue d’aller plus loin que la baisse du plafond des dons à 100 $ par année adoptée par Bernard Drainville sous le gouvernement Marois, qu’il faut « compléter l’œuvre de René Lévesque », qui a assaini le financement politique à la fin des années 1970.

Avis juridique

Or, à l’époque, la Commission des droits de la personne avait signalé à l’Assemblée nationale que « si des limites au montant des contributions peuvent être admises, dans un but d’égalité, l’interdiction absolue de faire toute contribution serait contraire à la liberté d’expression ». Et M. Lévesque avait maintenu et appuyé le financement populaire.

En 2012, la Commission des droits de la personne avait rappelé sa position lors des débats sur la loi de Bernard Drainville. « Limiter entièrement les gens à ne pas pouvoir donner à un parti politique, ce serait [de] la discrimination, ce serait limiter la liberté d’expression », disait son président de l’époque.

Mais pour François Legault, « on devrait aller une étape plus loin et dire que, pour les partis existants, ça devrait être un financement public seulement ». Il a esquivé une question lui demandant si le gouvernement détient un avis juridique sur l’abolition du financement populaire, devant le risque que cela contrevienne à la liberté d’expression.

« Un parti politique qui reçoit des dons privés, il peut y avoir une apparence qu’on se sent obligé de plus écouter ces personnes-là », a-t-il répondu pour résumer le problème auquel il veut s’attaquer.

Le financement privé, que des individus viennent donner de l’argent à des partis politiques même si c’est juste pour nous encourager, il y aura toujours un doute sur les intentions.

François Legault, premier ministre du Québec

Le premier ministre a évoqué des mesures particulières pour les nouvelles formations politiques afin qu’elles ne soient pas privées totalement de financement.

La CAQ « renonce à beaucoup d’argent » – 1 million par an – et « va se débrouiller avec la partie du financement » qui provient du Directeur général des élections du Québec, a soutenu M. Legault. Son parti est celui qui reçoit le plus d’argent de l’État puisque le financement est basé en bonne partie sur les résultats aux dernières élections générales. On parle d’environ 4,7 millions l’an dernier (6,8 millions lors de l’année électorale de 2022) ; contre un peu moins de 1,7 million pour le PQ (2,8 millions en 2022).

Les dons représentent annuellement de 20 à 30 % du financement des partis politiques ; le reste des fonds provient de l’État.

Enquête de la commissaire à l’éthique

Au cours des derniers jours, des élus caquistes (Louis-Charles Thouin, Yves Montigny, Gilles Bélanger, Sylvain Lévesque et François Jacques) se sont retrouvés dans l’embarras avec la publication de reportages qui ont permis de découvrir que des citoyens et des maires avaient été invités à faire un don de 100 $ à la caisse du parti en participant à une activité de financement politique, soulignant que cela permettait de rencontrer un ministre.

Les partis de l’opposition ont dénoncé cette façon de faire, y voyant un « modus operandi » qui contrevient à l’éthique et qui s’apparente à une façon de monnayer l’accès à un ministre. Jusqu’ici, deux députés caquistes, M. Thouin et M. Lévesque, sont visés par une enquête de la commissaire à l’éthique à ce sujet.

« On en a discuté longuement en caucus [mercredi]. Il y a des députés qui ne l’ont pas trouvé drôle, ce qu’ils ont vécu dans les derniers jours. Je pense que c’est une réflexion de l’ensemble des députés de la CAQ » d’en arriver à la fin du financement populaire, a soutenu le premier ministre.

François Legault a précisé que ses ministres continueront de participer à des activités partisanes sans qu’un don soit exigé des participants.

La semaine dernière, François Legault disait vouloir éviter les « distractions » au cours de la session parlementaire qui s’est amorcée mardi. Il a reconnu en point de presse que la joute politique ne porte pas pour le moment sur les priorités qu’il avait énoncées, comme la santé et l’éducation.

Les autres partis réagissent

C’est un geste de panique. Le financement populaire est une composante importante de notre vie démocratique. La solution aux manquements éthiques de la CAQ n’est pas de mettre fin à des contributions citoyennes de maximum 100 $, c’est de respecter les règles et donc de cesser de monnayer l’accès à ses ministres pour “avancer des dossiers’’. Un financement populaire sain est parfaitement possible si, comme le propose le Parti québécois, on retire simplement les ministres des activités de financement pour éviter toute apparence de conflit d’intérêts.

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon

François Legault panique. Il fait exactement ce que les Québécois lui reprochent : prendre une décision erratique et improvisée. Le problème, ce n’est pas que les citoyens aient le droit de faire un petit don à un parti. Le problème, ce sont les partis qui ne respectent pas la loi.

Le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois

On a encore une preuve patente de ce qui caractérise le leadership de notre premier ministre, chef de la Coalition avenir Québec et de ce gouvernement. Une perte de contrôle complète. […] Ils ne sont pas capables de faire respecter la loi, alors ils ne vont pas du tout, du tout faire de financement.

Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay

C’est une grosse diversion. On ne change pas la loi parce que la CAQ manque d’éthique. […] Un système de financement comme il est proposé à l’heure actuelle conduirait au fait qu’il n’y ait plus un parti qui pourrait passer de tiers parti à grand parti au Québec. Ça veut dire que la démocratie serait amputée. [La CAQ] veut éliminer la concurrence et se donner un avantage éhonté.

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime

Avec la collaboration d'Hugo Pilon-Larose, La Presse