Il y en a qui se plaignent un peu, des fois, sur les réseaux sociaux. C’est leur façon de faire avancer une cause tout en affichant leurs valeurs. François Saillant est d’une autre école. C’est un vrai militant, dans le sens le plus noble du terme.

Ex-porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), il a consacré sa vie au logement. Il a aidé des gens mal pris dans la rue. Il a traqué les politiciens pour dénoncer leurs reculs et leur arracher des demi-victoires. Et il a sacrifié son confort, et parfois même sa sécurité, pour attirer l’attention sur le sort des moins nantis.

Son nouvel essai, Dans la rue, parcourt l’histoire du FRAPRU et de ses luttes.

À trois reprises, il a été arrêté. Dans les années 1970, avant la loi anti-briseurs de grève, il tenait la ligne de piquetage contre des scabs. Et en 1988, lors d’une éviction sauvage dans l’avenue Overdale, il se dressait devant les boules de démolition. « J’avoue que cette fois-là, j’ai eu peur », dit-il.

L’homme parle d’une voix posée. Il est modeste et respectueux, à la limite de la timidité, mais ses convictions n’en demeurent pas moins inébranlables. Pour lui, le logement est un droit, et non un outil de spéculation. Et la pauvreté demeure une aberration dans une société riche comme la nôtre.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

François Saillant

On finit par se désensibiliser à l’injustice. Le FRAPRU s’est toujours battu contre cette apathie. Et pour attirer l’attention, M. Saillant ne manquait pas d’audace ou d’imagination. Il donne l’exemple du budget fédéral de 1992, à la fin de février. Avec ses complices, il érige un campement sur la glace de la rivière des Outaouais. « On est restés plus de deux jours, on était environ 20 à y dormir la nuit. Les journalistes sont venus. Grâce à notre génératrice, on a regardé la lecture du budget à la télé. Et ç’a été encore pire que prévu... »

Le gouvernement Mulroney venait de se retirer du financement du logement social. Le fédéral n’y est jamais revenu.

C’est probablement notre plus grande défaite. Sans cette décision, il y aurait environ 80 000 logements de plus seulement au Québec.

François Saillant

François Saillant parle d’une lutte désespérée et désespérante. À l’époque, un vent de droite souffle sur le continent. Après cet abandon fédéral, le FRAPRU convainc le gouvernement péquiste de créer un programme québécois. Jacques Parizeau annonce la construction de 1500 logements. « Mais on a réalisé que ce n’était pas récurrent ! » Une autre victoire aigre-douce. En 1997, la FRAPRU convainc Québec de lancer des chantiers durant cinq ans. « Ce n’était pas assez, mais dans un contexte de déficit zéro, c’était au moins ça de gagné. »

On connaît toutefois la suite. Les enveloppes n’ont pas suivi la hausse des coûts de construction, donc les logements promis sur papier ne sont pas tous construits. En 2018, le retard s’élevait à 16 000 logements. « Le chiffre a diminué à 7000 », rappelle-t-il.

Et avec la crise qui s’aggrave, il n’y a pas de quoi crier victoire.

En lisant l’essai de François Saillant, on constate que, malgré certaines accalmies, la crise n’a jamais cessé pour les plus pauvres.

Vers la fin des années 1960, le Québec se modernise. Des quartiers sont balafrés par des autoroutes ou carrément démolis au nom du progrès, qui vient avec une généreuse quantité de stationnement. Un exemple parmi tant d’autres : le Quartier chinois, désormais réduit à quelques coins de rue.

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François Saillant

C’est à cette époque que des groupes de défense des locataires comme le FRAPRU apparaissent.

En 1976, le taux d’inoccupation est de 0,7 % à Montréal. Une crise « extrême », se souvient M. Saillant. Cela crée une pression sur les loyers. De 1981 à 1986, leur prix moyen a bondi de 43 %.

Les promoteurs ont autre chose en tête que le sort des démunis. Ils construisent des condos et les quartiers s’embourgeoisent. Une décennie plus tard, en 1996, plus d’un locataire sur cinq consacre la moitié de son revenu à se loger. L’itinérance suscite l’inquiétude. Le FRAPRU et d’autres groupes dénoncent ce « désastre national ».

De 1996 à 2001, le prix des logements ralentit, avec une hausse cumulative de seulement 5,1 %. Dans ces conditions, le privé ne compense pas la chute du logement social et la pénurie finit par reprendre. En 2001, le taux d’inoccupation chute à 0,6 % à Montréal et Gatineau, et à 0,8 % à Québec.

Le redressement qui suivra profitera surtout aux plus nantis. Une décennie plus tard, on construira 10 fois plus de condos que d’appartements. Les chantiers locatifs finiront par devancer ceux des copropriétés, à partir de 2015. Mais pas assez pour compenser le déséquilibre historique.

Résultat : à la fin de janvier, la SCHL a confirmé que Montréal vient de subir sa plus forte hausse des loyers depuis 30 ans.

François Saillant pourrait clamer « je vous l’avais dit ». Mais il n’a aucun plaisir à avoir eu raison. « Tout cela était tellement prévisible », se désole-t-il.

Que propose-t-il ?

« D’abord, relancer la construction du logement social, avec la participation de Québec, mais aussi d’Ottawa. Il en faudrait 50 000 sur cinq ans », répond-il.

En parallèle de cette hausse de l’offre non lucrative, il souhaite encadrer le privé.

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François Saillant et Paul Journet

On devrait créer un registre des loyers – la technologie rend cela plus facile que jamais – et contrôler la hausse des prix.

François Saillant

En théorie, le Tribunal administratif du logement (TAL) plafonne les hausses permises. Mais ses avis sont de simples recommandations. La preuve : la hausse importante des loyers rendus disponibles par le départ d’un locataire.

Selon les propriétaires, c’est requis pour entretenir leur immeuble. C’est sans doute vrai pour de petits propriétaires occupants. « Mais on voit que les spéculateurs se servent de ce prétexte pour procéder à des rénovictions », rappelle-t-il. Selon lui, cette méthode devrait être interdite pour sous-diviser un logement ou en changer l’usage, par exemple pour convertir une résidence pour aînés en appartements.

Cette liste n’est évidemment pas exhaustive – il souhaite entre autres qu’on sévisse davantage contre l’hébergement à courte durée de style Airbnb.

Le militant ne parle pas d’autres causes de la crise, comme les obstacles réglementaires et autres désincitatifs financiers qui retardent la construction, ou encore la hausse récente de l’immigration temporaire qui augmente la demande. Mais il pourrait rétorquer que ces idées ne manquent pas de défenseurs politiques.

Longtemps, il s’est senti comme un orphelin politique. En 2006, il a cofondé Québec solidaire. Il a été candidat à trois reprises et il milite encore pour ce parti.

Aujourd’hui, il se console en constatant que la crise est devenue un enjeu politique majeur. « C’est parce qu’elle touche tout le monde. Ou du moins, tout le monde ou presque connaît quelqu’un qui est touché. Non seulement les logements sont rares, mais ils coûtent plus cher. Ces deux chocs nous frappent en même temps. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je ne bois habituellement qu’un café par jour, en déjeunant et en lisant les journaux sur ma tablette.

Mon dernier livre marquant : Qimmik, de Michel Jean, et Kanatuut, de Natasha Kanapé Fontaine.

Un livre que tout le monde devrait lire : L’enragé, de Sorj Chalandon. En fait, tout Chalandon.

Une personne qui m’inspire : L’abbé Pierre. Pas pour la religion, mais parce qu’il a su transformer ses colères en actions.

Un évènement historique auquel j’aurais voulu assister : La Commune de Paris... évidemment sans la répression brutale qui y a mis fin.

Un conseil pour une jeune militante ou un jeune militant : Tenter d’être heureux, même si les situations sont parfois difficiles.

Qui est François Saillant ?

Coordonnateur et porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) de 1979 à 2016.

Membre fondateur de Québec solidaire et candidat (2007, 2008 et 2012).

Animateur du Regroupement de solidarité avec les Autochtones.

Auteur des livres Le radical de velours (2012), Lutter pour un toit (2018), Brève histoire de la gauche politique au Québec (2020) et Dans la rue (2024).