Dans notre système parlementaire, c’est l’instance à la fois la plus puissante et la plus méconnue. La moins transparente aussi. Mais elle peut faire et défaire un premier ministre. C’est le caucus des députés du parti qui a la majorité au Parlement.

Ces temps-ci, c’est le caucus des députés de la Coalition avenir Québec qui force un peu la main de François Legault pour qu’il aille de l’avant avec une hausse importante et impopulaire du salaire des députés – qui survient au plus mauvais moment pour un gouvernement qui s’apprête à négocier avec les employés du secteur public.

Mais, parfois, un premier ministre décide qu’il est préférable de s’assurer que son caucus est solidement derrière lui, surtout quand un gouvernement est dans une mauvaise passe et qu’il entame des réformes difficiles et compliquées. Et si ça coûte une hausse de la rémunération, on s’arrangera.

Malheureusement, M. Legault a bien mal défendu la hausse de salaire, mais l’important, c’est que le caucus soit content.

Tous les partis ont des réunions de caucus. On y discute de stratégie, des questions à soulever, de la situation politique en général et de la vie du parti en particulier. Mais c’est le caucus du parti au pouvoir qui est le plus puissant puisqu’il pourrait – théoriquement, en tout cas – congédier le premier ministre.

Rassurez-vous, ça n’arrivera pas sous peu, ce n’est pas tellement dans nos mœurs politiques.

Mais si le caucus n’est pas content, il peut rendre la vie du premier ministre très désagréable. Et il aurait bel et bien le droit de forcer un vote de confiance en Chambre, ce qui pourrait lui faire perdre sa majorité.

Il faudrait évidemment une situation extrême, mais des révoltes de caucus, ça existe. Ainsi, pas plus tard que l’été dernier, la première ministre britannique Liz Truss n’aura été en poste que pendant 50 jours (dont 10 où il ne s’est rien passé pour cause de deuil national après la mort de la reine…) avant que son caucus la congédie carrément et exige une nouvelle course au leadership. Son budget désastreux (le premier et le dernier !) n’avait pas passé le test du caucus. Ni des marchés ni de l’opinion publique d’ailleurs.

À Ottawa, les députés conservateurs ont eu la tête de leur chef Erin O’Toole peu après la dernière campagne électorale. Il y a quelques décennies, Jean Chrétien a eu beaucoup de difficulté à rester en poste quand les partisans de Paul Martin ont voulu avoir sa tête. À la fin, il n’a pas démissionné, mais a dû promettre que son mandat serait son dernier. Et il s’est mis à appeler son caucus les « Nervous Nellies », ce qui n’était pas un compliment…

Au Québec, dans les derniers mois du second mandat de René Lévesque, les partisans de Pierre Marc Johnson étaient suffisamment nombreux pour rendre les réunions de caucus plutôt difficiles pour le premier ministre et plusieurs députés ont cru que cela a précipité le départ du fondateur du Parti québécois.

À l’Assemblée nationale, les caucus se réunissent le plus souvent le mercredi soir, derrière des portes closes, et tous les députés du parti ont le droit de parole et peuvent commenter tous les sujets et, dans le cas du parti au pouvoir, de commenter le travail des ministres et du premier ministre. Et ils s’en privent rarement. La contrepartie, c’est que ce qui se passe au caucus reste au caucus. Il faut vraiment une situation très difficile pour que les journalistes parlementaires entendent parler d’une réunion plus houleuse.

Pas étonnant que plusieurs premiers ministres aient pris un soin jaloux de leur caucus et aient réussi à traverser des crises très difficiles avec l’appui sans réserve de leurs députés.

Brian Mulroney était un virtuose en la matière, il jouait du caucus comme Yehudi Menuhin jouait du violon !

C’est sans doute ce qui explique que relativement peu de députés conservateurs aient suivi Lucien Bouchard au Bloc québécois après l’échec de l’accord du lac Meech et de la crise constitutionnelle qui a suivi. Jean Charest – qui a appris la politique sous la férule de Mulroney – a appliqué les mêmes recettes quand il est devenu premier ministre à Québec.

Ça veut dire toutes sortes de petites choses. Se souvenir non seulement de l’anniversaire de chacun des députés, mais aussi de leurs conjoints ou conjointes et de leurs enfants. Si quelqu’un de la famille se retrouvait à l’hôpital, le bouquet de fleurs du premier ministre devançait parfois celui du conjoint.

Cela peut sembler futile ou sans importance, mais de petites attentions comme celles-là créent des liens essentiels entre le chef et ses députés. Et le premier ministre en a besoin pour une autre raison. Ses députés, s’ils font bien leur travail, peuvent être ses yeux et ses oreilles sur le terrain.

Une modeste suggestion : si des étudiants en sciences politiques se cherchent un sujet, cette institution centrale de notre système parlementaire a été très peu étudiée au fil des années.