Notre chroniqueur Alexandre Pratt prend le café avec l’auteure québécoise Marie-Andrée Labbé.

Ça faisait quelques mois que je voulais prendre un café avec l’auteure québécoise la plus prolifique de l’heure, Marie-Andrée Labbé. Le problème ? Justement, elle était trop occupée. Elle devait terminer l’écriture de STAT, la série de fiction la plus populaire de la dernière année.

STAT, ce sont 35 pages de textes par épisode, soit 140 pages par semaine. Du costaud. « Écrire une quotidienne, c’est comme courir un marathon, avec des petits sprints sans arrêt », confie-t-elle.

Et ça prend combien de cafés par jour pour y arriver ?

« Aucun. Je préfère le thé ! »

C’est pourquoi elle m’a donné rendez-vous au Salon de thé Cardinal, sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. La salle est sombre. Feutrée. Étonnante. Rien ne semble avoir bougé depuis 100 ans. Marie-Andrée Labbé commande du thé. « Désolée, répond la serveuse, le service de thé n’est offert que la fin de semaine. » Un peu déçue, l’auteure se rabat sur une limonade maison, qu’elle sirote très lentement.

Nous sommes ici pour parler de sa passion : la télévision. D’aussi loin qu’elle se souvienne, le petit écran a toujours occupé une place importante dans sa vie. « Enfant, j’étais une fan finie du Village de Nathalie. Ma mère, elle, adorait les comédiens. Chaque semaine, on recevait tous les magazines artistiques à la maison. Ma mère conservait même les TV Hebdo. »

En parallèle, la beauté des villages de Saint-Siméon et de L’Anse-Saint-Jean, où elle a grandi, l’incite au rêve.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Marie-Andrée Labbé

C’était clair que j’étais dans un monde à part. La création, l’imaginaire, ça faisait partie de moi très tôt dans ma vie. J’ai toujours eu une facilité pour l’écriture. Je savais que je pouvais raconter une histoire qui se tienne. J’ai toujours écrit, sans savoir ce que ça allait devenir plus tard.

Marie-Andrée Labbé

Les séries québécoises des années 1990 l’initient à une réalité urbaine différente de celle qu’elle connaît au Saguenay. Ce monde l’intrigue. À 17 ans, elle déménage à Montréal. « Une des premières choses que j’ai faites en arrivant ici, c’est d’assister à l’enregistrement du Poing J, avec Julie Snyder. Ça aussi, j’en étais une fan finie. »

Après des études en communications, Marie-Andrée Labbé se rapproche de l’industrie artistique. D’abord comme blogueuse, pour un site spécialisé en télévision, puis comme scénariste, pour l’humoriste Valérie Blais. Suivent des contrats pour une émission de Pierre Brassard, la série Les Parent et des galas. La notoriété vient avec Trop et Sans rendez-vous, deux séries appréciées du public. Mais STAT, c’est dans une autre ligue. Plus de 1,5 million de téléspectateurs par soir. Le type de projet qui change une carrière – et une vie.

Pour respecter les échéanciers serrés, Marie-Andrée Labbé n’a pas le choix. Elle doit mener une vie spartiate. « C’est spécial. Je dois me dépêcher à écrire ET avoir une vision à long terme. Heureusement, c’est facile pour moi de me plonger dans un autre monde que la réalité. Une fois que je mets mes écouteurs et que je bloque les sons extérieurs, je peux rester dans cet univers-là longtemps. J’adore ça. C’est là que je suis le mieux. C’est ce que je préfère dans la vie. Mais bon, j’aime aussi avoir un week-end de congé. »

« En as-tu eu, pendant l’hiver ?

– Pas vraiment. Mais j’aspire à ça pour la saison 2… »

Elle qualifie sa vie de « très égoïste ». « Tout est organisé autour de moi. Je n’ai pas d’enfant. Je n’ai personne de qui m’occuper. Je n’ai qu’à écrire la meilleure série dont je suis capable, dans les délais demandés. Oui, c’est exigeant. Mais c’est aussi très égoïste. »

Ça pourrait changer prochainement. Sa productrice, Fabienne Larouche, a confié au site Showbizz.net qu’elle la voyait lui succéder à la tête de sa société. « Je la vois prendre ma place chez Aetios, clairement. Elle a envie de ça. Elle a une exaltation. C’est une passionnée. »

Marie-Andrée Labbé ne s’en cache pas, elle a de grandes ambitions. Elle sait que ça peut bousculer des gens. « Quand tu es une femme, il faut faire attention à comment on présente ça. Il faut toujours être modeste, reconnaissante, avoir de la gratitude. Il faut surtout dire : je ne sais pas si je serai bonne. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Marie-Andrée Labbé

Mais moi, quand je suis fière de mon travail, je suis capable de le dire. Et quand ça va mal, ça se passe entre moi et moi. Je suis mon propre juge. Mon propre patron.

Marie-Andrée Labbé

Elle préfère d’ailleurs écrire seule, plutôt qu’en groupe, comme ça se fait parfois sur d’autres émissions. Ça lui permet de garder le contrôle sur son univers et ses histoires. Maintenant, si elle devient dirigeante d’une boîte de production, forcément, l’égoïsme devra faire place à une autre dynamique : celle d’être responsable du bonheur des autres.

C’est déjà un peu le cas sur STAT.

Pourquoi ?

Parce que dans un film, ou une courte série comme Sans rendez-vous, les acteurs connaissent toute l’intrigue d’avance. Ils savent à quoi s’attendre. Dans une quotidienne ? Moins. Les décisions de Marie-Andrée Labbé ont un impact sur leur horaire, sur leur salaire annuel, sur leur carrière même. Souvenez-vous des acteurs qui ont difficilement accepté la disparition de leur personnage, dans District 31, entre autres.

« Je suis consciente que j’ai droit de vie ou de mort sur les personnages et que l’année des comédiens dépend de mes textes. C’est un apprentissage qui se fait graduellement. C’est fascinant. J’aime beaucoup les acteurs. J’ai un lien facile avec eux. On se ressemble. On communique avec nos émotions. Lorsqu’ils sont inquiets, je le ressens. C’est certain qu’ils veulent savoir si leur personnage va mourir. »

Je lui fais remarquer qu’elle n’a encore tué aucun personnage principal. Il y en a même un qui s’est réveillé miraculeusement d’un profond coma, à la fin de la saison.

« Ça va venir », dit-elle.

Elle ajoute que les acteurs ont aussi tendance à vouloir protéger leurs personnages. Elle les a donc rencontrés pour leur annoncer que leurs personnages allaient tous commettre une erreur à un moment donné. « Si tout le monde se protège, ce n’est pas bon pour le show. Il faut que les personnages fassent une gaffe, ou posent un geste avec lequel toi, comme humain, tu ne seras pas d’accord. C’est sûr que c’est insécurisant. J’en suis consciente quand j’écris. »

« Redoutez-vous le moment où vous devrez annoncer à un acteur la mort de son personnage ?

— Je suis une hypersensible. Je considère que c’est un atout, surtout en création. Quand tu es hypersensible, tu ressens des affaires. Des gens associent cela à de l’instabilité. Au contraire, c’est de l’acuité. Je perçois les choses. Je vais trouver une façon d’exprimer mon point. Mais c’est sûr qu’il y a des choses qui m’attendent, dans l’avenir, et qui m’apparaissent comme un immense défi. »

À propos des défis futurs, les scénaristes américains ont déclenché une grève, en mai. Parmi leurs inquiétudes, il y a celle d’être remplacés par des logiciels d’intelligence artificielle.

La conjointe de Marie-Andrée Labbé, la journaliste Judith Lussier, a tenté une expérience l’hiver dernier. « Elle a demandé à un logiciel d’écrire une scène entre un médecin et une infirmière, à propos d’une affaire précise. C’était mal écrit. Sauf que c’était vrai et cohérent. »

Marie-Andrée Labbé n’a jamais recouru à l’intelligence artificielle pour écrire ses séries. Elle la perçoit comme une menace pour son métier. « Les gens n’arrêtent pas de l’utiliser pour le plaisir. Mais plus on l’utilise, plus on la renforce. Il faut arrêter ! »

Ça lui fait peur ? Non.

Si l’intelligence artificielle [s’impose], je ferai autre chose. Je trouverai une autre solution. Mais ce sera bien dommage. Je ne pense pas que ça arrivera de mon vivant. Ou plutôt, je pense que de mon vivant, ça va s’immiscer dans notre travail. Après, est-ce que ça va remplacer les scénaristes ? Est-ce que ça nous privera de salaire ? Non.

Marie-Andrée Labbé

« En télévision, ajoute-t-elle, toutes les histoires ont été racontées. Il y aura toujours de la place pour refaire ce qui a déjà été réalisé et ça, je crois que l’intelligence artificielle pourra le faire. Après, c’est la façon unique de raconter les choses et le ressenti qui font qu’un auteur se démarque d’un autre. »

Questionnaire sans filtre

1. Le café et moi : Je n’en bois pas. Je préfère le thé.

2. Une ville que j’aime : Londres. C’est merveilleux. J’y suis à ma place. Il y a quelque chose de doux dans cette ville.

3. Une série que j’aurais aimé écrire : Six Feet Under (Six pieds sous terre). Pour les relations complexes entre les gens et le thème de la mort qui revient sans cesse. Il n’y a rien de plus vivant que de parler de la mort. C’est une idée de génie, exécutée de façon grandiose, avec humour. C’est de la perfection.

Qui est Marie-Andrée Labbé ?

  • Née il y a 40 ans dans Charlevoix
  • Elle s’est d’abord fait remarquer en écrivant des sketchs humoristiques pour le spectacle de Valérie Blais, la série Les Parent, l’émission Brassard en direct d’aujourd’hui ainsi que pour des galas.
  • Elle scénarise ensuite les séries Trop et Sans rendez-vous.
  • Elle est maintenant l’auteure de STAT, la série de fiction la plus regardée au Québec.