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J’aimerais savoir qui a aboli le poste d’arbitre [des voyageurs]. Combien de temps le poste a-t-il existé ? Et finalement, pour quelle raison le poste a-t-il été aboli ?

François Martel 

Le Canada est le parent pauvre de la protection des voyageurs par rapport à l’Europe. Vos réactions à notre éditorial de dimanche dernier « L’arbitre des voyageurs est K.-O. »1 nous en ont fourni une preuve éclatante.

Le traitement reçu par deux lectrices de La Presse, l’une qui voyageait avec Air Canada, l’autre avec Lufthansa, ne pourrait pas être plus contrasté.

Jugez vous-même...

Sylvie Fortier a vécu un cauchemar en se rendant à Vancouver avec Air Canada, en janvier 2020, comme nous l’avions raconté dans une chronique relatant ses mésaventures2.

Tempête de neige, problème mécanique, problème de personnel... tout allait de travers. Mme Fortier est arrivée à destination avec 41 heures de retard, après avoir végété deux nuits à l’aéroport et passé six heures sur le tarmac.

Comme si ce n’était pas assez, sa demande d’indemnisation a aussi été un parcours du combattant. Ce n’est qu’après trois ans de lutte qu’elle a finalement reçu une indemnisation de la part du transporteur, qui a remboursé ses frais d’hébergement et de repas à l’aéroport (environ 360 $) et offert un crédit voyage valide pour une réservation jusqu’en mars 2023 (800 $ pour elle et son conjoint).

« J’ai dû faire plusieurs suivis avant le règlement. Si j’avais abandonné, c’est certain que je n’aurais eu aucune nouvelle d’eux », rapporte Mme Fortier.

L’expérience vécue par Élise-Mercier Gouin avec Lufthansa est aux antipodes.

En mai dernier, elle se rendait de Montréal à Genève en passant par Munich. Mais elle a raté sa correspondance parce que la première partie du vol a été retardée. Elle a finalement décollé de Munich environ quatre heures et demie plus tard que prévu.

À son retour, elle a écrit au transporteur pour demander le remboursement de son repas qui avait coûté environ 20 euros. Elle a ajouté dans son courriel : « J’ignore si j’ai droit à un autre type de dédommagement pour ce retard. Si oui, j’apprécierais le recevoir. »

Devinez quoi ? Lufthansa a versé un dédommagement de 611 euros (890 $ CAN) directement dans son compte bancaire. « Je n’en reviens toujours pas, mais je constate que leurs lois protègent vraiment les passagers, contrairement à ici », dit la voyageuse.

Elle a mille fois raison.

Le Règlement sur la protection des passagers aériens, ou charte des voyageurs, qui est entré en vigueur au Canada en 2019, après des années d’attente, est trop complexe et trop laxiste.

En cas de retard, le transporteur doit verser une indemnité allant de 400 $ (plus de trois heures de retard) à 1000 $ (plus de neuf heures). Mais il n’a rien à verser si le retard était indépendant de sa volonté (ex. : météo) ou nécessaire pour des raisons de sécurité indépendantes de sa volonté (ex. : défaillance mécanique inattendue), ce qui lui permet de se défiler trop facilement.

Et les passagers se retrouvent à la merci du transporteur quand vient le temps de déterminer la cause du retard.

Sylvie Lambert en a fait l’expérience avec son conjoint à son retour de la République dominicaine en décembre dernier. L’avion a atterri avec plus de trois heures de retard, ce qui lui donnait droit à une indemnisation.

Mais Air Transat lui a répondu que le retard était attribuable à un problème mécanique, indépendant des entretiens planifiés... et donc indépendant de sa volonté. Elle a demandé à voir les documents. Réponse : « Ce sont des documents de travail internes donc confidentiels. »

Sans preuve, comment voulez-vous que les passagers fassent valoir leurs droits ? Ils doivent se fier les yeux fermés aux transporteurs !

Bien sûr, il est possible de faire une plainte à l’Office des transports du Canada (OTC). Mais il y a 18 mois d’attente. Et le chien de garde n’a pas beaucoup de mordant, contrairement au Commissaire aux plaintes relatives au transport aérien qui avait été créé en 2000... mais qui a malheureusement disparu.

« J’aimerais savoir qui a aboli le poste d’arbitre ? », nous demande François Martel.

C’est Ottawa qui a supprimé le poste en 2004, soi-disant pour économiser, explique Liette Lacroix Kenniff qui a été la dernière à occuper le siège. Mais cela a bien fait l’affaire des transporteurs aériens, à commencer par Air Canada qui venait de se mettre à l’abri de ses créanciers et qui se rebiffait contre cette commissaire avec de la poigne.

Vingt ans plus tard, on se retrouve à la case départ. Avec des voyageurs toujours aussi mal protégés et mal défendus. Pitoyable.

1. Lisez notre éditorial de dimanche dernier 2. Lisez la chronique « La météo a le dos large »