L’Allemand Wim Wenders se penche sur les 50 ans de carrière de l’artiste contemporain Anselm Kiefer, dans un documentaire fascinant.

Wim Wenders a surtout connu du succès, ces dernières années, grâce à ses documentaires ayant pour sujet des artistes. Après Pina, sur la chorégraphe et danseuse Pina Bausch, Le sel de la terre, sur le photographe Sebastiāo Salgado, et les musiciens cubains de Buena Vista Social Club, voici que le cinéaste de Tokyo-Ga (sur les traces du cinéaste Yasujiro Ozu) s’intéresse à l’œuvre de l’artiste contemporain Anselm Kiefer.

Présenté en séance spéciale au plus récent Festival de Cannes, où Wim Wenders a remporté la Palme d’or en 1984 pour Paris, Texas et le Prix de la mise en scène en 1987 pour Les ailes du désir, Anselm (le bruit du temps) est un film contemplatif, onirique, poétique et méditatif, inspiré par les sculptures et peintures d’Anselm Kiefer.

Le documentaire commence avec les bruissements à peine audibles de femmes qui chuchotent des bouts de phrases comme des incantations, pendant qu’une caméra glisse d’une robe de mariée en plâtre à une autre. Ces sculptures de l’installation Die Frauen der Antike (Les femmes de l’antiquité) ont des « têtes » de briques, d’acier, de plomb ou de brindilles, matériaux de prédilection de l’artiste allemand, dont le Musée d’art contemporain de Montréal a présenté une exposition majeure en 2006.

On voit ensuite Anselm Kiefer dans un studio de la taille d’un entrepôt dans lequel il se déplace à vélo entre des œuvres monumentales, magnifiques tableaux qu’il couvre d’une peinture épaisse, brûle avec de la paille ou sur lesquels il verse du plomb fondu. Des toiles si immenses qu’il doit se hisser sur une plateforme hydraulique pour les achever.

Film fascinant sur l’art

Kiefer, inspiré par la philosophie, la mythologie, la religion et la littérature – en particulier par la poésie du Roumain Paul Celan, dont les parents sont morts dans un camp de concentration –, pratique un art très physique, même à 78 ans. Wenders propose un portrait intimiste de son compatriote et ami, qui est né comme lui en 1945, à quelques mois d’intervalle.

Le cinéaste retrace 50 ans d’une carrière singulière, grâce à des images d’archives de Kiefer. Il évoque ses débuts controversés, alors que l’artiste s’était photographié en costume d’officier de la Wehrmacht, parodiant le salut nazi au cœur de différents paysages européens. Une façon, disait-il, de confronter l’Allemagne au silence entourant son sombre passé.

Ces saluts hitlériens furent évidemment perçus à l’époque comme une provocation. Kiefer, que certains ont soupçonné d’être un néonazi, les avait conçus comme une protestation contre l’oubli, alors qu’on ne parlait pas du IIIe Reich dans les écoles. En entrevue, l’artiste s’interroge notamment sur le célèbre philosophe allemand Martin Heidegger, qui a occulté son passé nazi. Kiefer se demande de quel côté de l’histoire il se serait lui-même retrouvé en 1939. « La plupart des intellectuels ne se posent pas la question », regrette-t-il.

En plus des images d’archives, notamment d’enfants allemands jouant dans les décombres de l’après-guerre, Wim Wenders s’appuie sur des reconstitutions d’époque pour raconter Anselm Kiefer. Le propre fils du peintre, Daniel, incarne son père au début de sa carrière, et c’est le petit-neveu de Wenders, Anton, qui interprète Anselm dans sa petite enfance. Comme la plupart des reconstitutions, celles-ci s’intègrent difficilement au documentaire.

Malgré ce mariage un peu forcé, Anselm (le bruit du temps) demeure un film fascinant sur l’art, non seulement en raison de son riche sujet, mais aussi grâce à sa forme. La caméra en constant mouvement, d’une splendide fluidité, nous présente sous différents angles les œuvres ainsi que l’artiste à l’œuvre. Les images sont superbes, en particulier grâce au relief de la 3D (technique qu’avait aussi utilisée Wenders avec Pina), et la réflexion sur le temps, aussi profonde que pertinente.

Anselm – Le bruit du temps est présenté en version originale allemande avec sous-titres anglais (3D) et en version originale allemande avec sous-titres français (2D). Il sera présenté en 3D en version originale allemande avec sous-titres français dès le 5 janvier.

Anselm – Le bruit du temps

Documentaire

Anselm – Le bruit du temps

Wim Wenders

Avec Anselm Kiefer, Daniel Kiefer, Anton Wenders

1 h 33
En salle

7/10

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